Le fonctionnement de la justice seigneuriale de Boissezon avant la Révolution est pour nos contemporains une question assez obscure. Dans un article paru dans le Cahier de Rieumontagné de juillet 2019, Robert Pistre et Alain Salles nous décrivent le déroulement d’une affaire où on voit un système assez perfectionné. En 1790, la Constituante supprime la justice seigneuriale et la remplace par la justice de paix.

Comme il y a pu d’archives à ce sujet, le texte de l’article est éclairant.

Le dimanche 14 septembre 1788, une affaire assez grave s’est produite en bordure du bois de Lauze. Ce jour-là, Antoine Béziat de Félines fut assommé à coups de bâton par Pierre Calas dit Pounieirou des Senausses. Le croyant mort, il porta l’infortuné dans un trou et le recouvrit de broussailles, non sans lui avoir dérobé les 45 francs qu’il avait dans sa poche.

Antoine Béziat ayant repris ses esprits se traîna au bord d’un chemin qui n’était pas très éloigné. De là il vit revenir son assassin, qui ne le voyant pas dans le trou avait conclu que le diable l’avait emporté. Antoine Béziat resta là, au bord du chemin, jusqu’au lendemain soir. Sans pouvoir se traîner, il aurait péri, sans le secours d’une personne qui passa par là et le transporta chez les Senaux, à La Barraque de Montégut. 

La journée du dimanche 14 septembre commença à Nages, où Calas s’acquitta, après de multiples rappels, de ses dettes à Béziat devant Me Sabatier, notaire du lieu. Ensuite, ils retournèrent ensemble à Félines et, là, ils sont convenus de la vente à Béziat d’une certaine quantité de grains aux Senausses. Ils se dirigèrent vers les Senausses et quand ils arrivèrent au ruisseau de Founbessière (aujourd’hui Roucarel), ils s’enfoncèrent dans le bois pour chercher des noisettes. Et là Calas reprocha à Béziat les démarches et procès faits pour récupérer son argent. Il  l’assomma à coups de bâtons et le traita comme nous l’avons déjà indiqué.

En 1788, nous sommes encore en régime seigneurial. La justice seigneuriale était en ordre de bataille avec Joseph Terral de Lacaune, juge (futur conventionnel), Jean Joseph Guibbert assesseur du juge, Me Sabatier de Nages procureur, Gasc de Nages, huissier et le docteur Galtier, greffier. La prison est à Boissezon.

C’est Sabatier, le notaire de Nages qui dépose la plainte au nom de Béziat pour assassinat et vol. La multiplicité des pièces de procédure montre que la complexité administrative était déjà à l’œuvre.

L’huissier Gasc assigne les témoins à comparaitre chez Valette, forgeron de Murat, par devant Me Guibbert, avocat en parlement, assesseur à la justice de Boissezon et Murat. Faute de comparaître, les personnes assignés encourent une amende de six livres. Les témoins comparaissent, le 21 septembre 1788. Ils prêtent serment sur les Saints Évangiles.

La première, Jeanne Carrière épouse Senaux du Causse, dépose qu’elle a vu arriver Pierre Calas au Causse le samedi 23 septembre 1788 pour y coucher et partir le lendemain à Nages avec Béziat afin de se rendre chez le notaire Sabatier. Au retour, elle prêta un sac à Béziat qui disait aller chercher du seigle aux Senausses. Elle a entendu dire que Calas avait assommé Béziat et lui avait volé l’argent qu’il portait.

Jean Blayac, berger au Cloutet, âgé d’environ 21 ans, indique que le dimanche 14 septembre, allant trouver le berger de La Griffoulède à Camparnaut, il vit passer Calas et Béziat qui portait des sacs sous le bras. Ce dernier lui déclara qu’il allait faire provision de seigle pour l’hiver aux Senausses. Par la suite, il a ouï dire que Béziat avait été assommé à Combefabrece.

Jacques Valette, âgé d’environ 30 ans, originaire des Senausses et berger à La Griffoulède a dit que, le dimanche 14 septembre, il était allé garder son troupeau au champ Saussol et il vit passer deux hommes qu’il ne put reconnaître, car de trop loin, avec l’un qui portait un sac sur le dos. Par la suite il a entendu parler du drame qui a eu lieu.

Joseph Théron de Peyroux, aide berger ou sive pillard à La Griffoulède, âgé d’environ 18 ans, indique qu’étant à la garde du troupeau à Saussol, il vit deux hommes qu’il ne connaissait pas, mais échangèrent des saluts. Il les vit disparaître et apprit plus tard le drame qui s’était déroulé. Jean Delmas nous donne la clé de sive pillard ; sive = ou bien ; pillard= aide berger. En Rouergue on dit aussi ragas, et, aussi sur l’Aubrac, dans les burons.

Jacques Théron, père, métayer du Cloutet, âgé d’environ 60 ans, dépose qu’il gardait ses troupeaux dans un pré au-dessous du Cloutet et il vit passer les deux hommes et demanda à l’un ce qu’il comptait faire des sacs qu’il portait. Il lui fut répondu que c’était pour aller chercher des grains aux Senausses que Calas lui vendait huit livres des grains qu’il avait achetés au métayer des Senausses. Les deux hommes s’éloignèrent. Le déposant a appris le drame intervenu peu après.

Barthélémy Théron valet chez Roque Melon de Paillemalbiau revenait, le lundi 15 septembre, de La Fabrègue, terroir d’Olargues (aujourd’hui commune de Cambon), où son maître l’avait envoyé et il trouva le lendemain du drame le malheureux Béziat qui ne pouvait se tenir debout, couché dans le chemin. Il lui permit d’arriver jusqu’à La Barraque de Montégut. L’infortuné raconta que Calas lui avait demandé de puiser de l’eau dans le ruisseau traversé et qu’il profita de se qu’il était penché pour lui asséner un grand coup de bâton pour se venger d’avoir réclamé le paiement de la dette.

Le docteur de la faculté de Montpellier Galtier de Murat et Etienne Jammes chirurgien de Nages requis ont dressé un constat de blessures impressionnantes.

Toujours dans le cadre de la justice seigneuriale, le 26 septembre 1788, Jean Joseph Guibbert ordonne que Pierre Calas dit Pougniéirou sera pris et saisi au corps et emmené sous bonne garde dans les prisons de la juridiction pour répondre des charges… La prison était à Boissezon. Le même jour, Guibbert, assesseur de la justice, en présence de Sabatier, procureur de la juridiction et Béziat reçoit le rapport des experts médicaux. La justice de Boissezon et Murat avait donc un procureur, Me Sabatier, notaire à Nages.

Le 4 octobre 1788, un huissier de Lacaune se rend aux Senausses pour essayer d’arrêter Calas. Il a fouillé « les coins et les recoins » et n’a rien trouvé. Personne dans le hameau ne sait où il est. L’objectif est toujours de l’emmener à la prison de Boissezon. L’huissier laisse une assignation à se rendre sous quinzaine dans la dite prison. Le 13 octobre un garde de Lacaune et un autre de Castres essaient en vain d’arrêter Calas.

La Révolution est arrivée. Béziat mourut. Le 30 vendémiaire an 3 (20 mars 1795), la veuve Béziat saisit le nouveau pouvoir judiciaire. Nous sommes six mois après la chute de Robespierre, le cours des choses reprend.

Il serait fastidieux de reprendre la suite de la procédure avec chaque fois des annulations des procédures précédentes. Finalement le tribunal criminel reconnaît les torts de Pierre Calas, mais il n’a jamais été appréhendé. Il est déclaré coupable par contumace le 30 vendémiaire an 9, soit le 22 octobre 1800.

Nous n’avons pas trouvé trace du décès d’Antoine Béziat. En revanche Pierre Calas des Senausses est mort aux Senausses le 15 nivôse an 12, soit le 18 janvier 1804. Il n’a donc pas été inquiété et a dû bénéficier de la période d’insécurité de l’époque. 

Référence : Archives départementales du Tarn cote 2-U-10

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