C’était une marque de la vie de nos anciens : faire d’un gros travail l’occasion d’une fête. C’était la soulenco qui marquait le dépiquage où 25 personnes étaient affairées autour de la batteuse. La fermire devait se distinguer pour faire un très bon repas.
Aujourd’hui quand on travaille, on travaille et si on doit être récompensé, ce sera à un autre moment dans un autre lieu.
Robert Calas nous raconte la soulenco à Rieumontagné (le bas). Voici un extrait de ses mémoires.

… « Une fois le gerbier entièrement digéré par les machines, ma mère, aidée par d’autres femmes venues prêter main-forte au travail et en cuisine, régale tout ce monde venu nous aider par un solide repas dont quelques charcutailles, poules et autres lapins font les frais. Le vin est vif et il étanche ces nombreuses soifs attisées par la lourde chaleur et la dense et irritante poussière du dépiquage. Les hommes prennent place autour de la rustique table constituée de longues planches posées sur des tréteaux et que recouvre un drap blanc. Elle est dressée dans la grange pour se préserver du soleil. Les mets sont apportés dans des grands plats et autres jattes. Les miches de pain frais passent de main en main, chacun coupe son « taillou ». C’est le moment de sortir son couteau, de piquer un bon morceau et de se « payer avec les dents. » On mange lentement pour récupérer de l’intense fatigue mais surtout pour apprécier la qualité d’une cuisse de poulet ou la fermeté d’un râble de lapin. Ces gens de la terre sont de fins connaisseurs. Les bouteilles circulent de main en main, ici chacun se sert et les verres se remplissent. Le vin est dégusté à la manière paysanne et un claquement de langue sur le palais, suivi d’un hochement de tête approbateur, en dit long sur la qualité du breuvage. L’ultime dégustation intervient après le Roquefort quand les faims sont rassasiées et qu’est venu le temps du plaisir et d’un peu de détente.
Les visages ont pris des couleurs et les fumeurs sortent leur paquet de gris, du « Caporal », et roulent une cigarette qu’ils collent d’un coup de langue précis et gourmand. Les femmes rouspètent après ces « pipaïrés », qui toussent ensuite comme des « asclaïres ». Qu’à cela ne tienne, les hommes continuent à fumer tranquillement et les femmes « roumèguent » pour le principe. Les conversations vont bon train. On parle haut et fort dans notre patois. C’est le temps des histoires un peu crues que les enfants écoutent avec grande attention et que les bigotes sanctionnent en appelant les foudres de l’enfer. Certains, ayant un peu abusé de la dame jeanne, ont quelque difficulté à s’exprimer, et se font copieusement enguirlander par leur (pas) tendre moitié. Ainsi vont les choses, dans le travail et la bonne humeur.
Les plats vides et les bouteilles éclusées sont le signe que le repas était de qualité et c’est le meilleur des compliments pour la patronne et les cuisinières.
Eh bé !Tournarem, disent certains.
Ce travail, non rémunéré, sera rendu, chacun à son tour, et, après l’effort, on se payera à nouveau avec les dents. Ainsi va le rythme des travaux au dur temps de mon enfance et qui reste ancré dans ma mémoire… »

D’autres Soulencos me reviennent à l’esprit, moins festives ; ce sont des repas ou des goûters lorsque la dernière charrette de vendange arrive à la cave et que la récolte est, enfin, à l’abri des intempéries. Là encore, proche de Béziers, à côté des foudres et barriques, la còla est réunie par le maître et le ramonet pour déguster poulets et lapins, le tout arrosé copieusement avec le vin du cru.
Dans un registre un peu différent le repas des os, le lendemain du tuer du cochon, réunit tous les parents et voisins venus aider à faire le masel. Le CRPR perpétue annuellement cette belle tradition.

Robert CALAS
Sans titre
Battages à Félines vers 1930 avec une batteuse actionnée par une locomobile

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