Un milieu naturel de moyenne montagne tardivement exploré par l’homme préhistorique
Dans l’état actuel des connaissances, aucun vestige indubitablement lié à la présence de l’homme avant la fin du Néolitique n’a été découvert sur le territoire de la feuille Lacaune. Seuls des restes de faune du Pléistocène supérieur ont été recueillis dans la grotte de la Tour: grand bovidé, hyène des cavernes et ours. La rigueur du climat, la rareté des abris naturels et l’âpreté du relief, n’ont pas incité l’homme du Paléolithique à s’y installer.
C’est à la faveur de l’amélioration climatique de l’Atlantique, conjuguée à d’autres causes (pression démographique, espaces vierges à conquérir, etc.) que, vraisemblablement, l’homme néolithique va parcourir ces espaces géographiques naturels. Ces derniers subiront des transformations irréversibles au gré d’une installation, d’abord intermittente, puis permanente. Les vallées encaissées et les sommets culminants ont sans doute moins attiré l’homme préhistorique que les barres calcaires des reliefs appalachiens ou les plateaux tourbeux de l’Espinouse. C’est assurément la haute surface s’étendant de Lacaune à Murat-sur-Vèbre qui a connu la plus grande densité de peuplement dès la fin du Néolithique. Cet espace géographique se singularise par la présence d’une vaste dépression allongée selon une direction E-W qui se développe au pied des sommets les plus élevés (Roc de Montalet, Montgrand). Au Nord de la plaine de Laucate, s’offre à la vue un paysage de collines façonné en altitude, où alternent des puechs, des serres et des alvéoles parfois à fonds tourbeux. La circulation y est aisée et les dénivellations réduites. La mosaïque de terroirs diversifiés résulte de l’action plus que millénaire d’une économie rurale traditionnelle.
L’amorce de la colonisation d’un milieu montagnard à la fin du Néolithique et au début de l’âge du bronze
• Territoire de chasse ou habitat permanent ? Un nombre important de stations de plein air a été reconnu dans le canton de Murat-sur- Vèbre, surtout dans le paysage des «serres», par P. Rouanet, l. Record et l.L. Vatinel (1987). Sur le rebord méridional de l’Espinouse, R. Azémar (1987) a prospecté quelques sites préhistoriques. Une vingtaine de sites peuvent correspondre à des habitats du Néolithique final ou du Chalcolithique. Cette interprétation s’appuie sur la quantité et la nature des vestiges recueillis : silex taillés, broyeurs, meules, haches polies, tessons de céramique appartenant à des vases munis de cordons en relief et de moyens de préhension perforés ou non. La présence de dolmens et de grottes sépulcràles, parfois situés à proximité des habitats, ne semble pas aller dans le sens de l’hypothèse qui considère les monts de Lacaune comme un territoire de chasse des groupes périphériques occupant les Grands-Causses, les vallées du Tarn, de l’Orb et du Jaur, régions où ils pratiquaient l’agriculture et l’élevage. Les influences du groupe de Treilles (Grands-Causses) semblent dominantes.
Les analyses polliniques et les datations absolues au 14C réalisées dans les monts de Lacaune et dans l’Espinouse à partir de prélèvements effectués dans les tourbières, permettent de discerner les principales modifications intervenues dans la végétation durant l’Holocène. Le début de l’essor rapide d’une hêtraie-sapinière aux dépens de la chênaie mixte s’est opéré à la fin de l’Atlantique (environ 4500 B.P.), au moment où les hommes dressaient les premières statues-menhirs. Au Sud de la feuille, dans la vallée du Jaur, le climat froid et humide de l’Atlantique devient tempéré et humide au Subboréal. Les premiers défrichements ne sont perceptibles qu’au début du Subatlantique (2700 B.P .).
L’exploitation du milieu minéral n’a pas atteint, sur le territoire de la feuille, l’ampleur que l’on constate ailleurs (feuille Réalmont). Les meules, molettes et broyeurs ont été confectionnés dans des matériaux locaux : granite, métabasites, grès, quartz. En ce qui concerne la matière première de l’outillage poli, viennent en tête les métavolcanites basiques affleurant essentiellement entre Lacaune et le Merdelou. De teinte gris-vert, ces roches ont servi à la fabrication de près de la moitié des lames de pierre polie, principalement les grandes pièces. La diversité des faciès représentés implique l’existence de multiples lieux d’approvisionnement. Malgré la présence d’affleurements favorables, aucune exploitation d’envergure des métabasites n’a pu être décelée. D’autres roches, d’origine locale, ont été sporadiquement utilisées : fibrolite, roches ultrabasiques. Un petit atelier de taille a été identifié à proximité d’affleurements d’ortho-amphibolites à débit en plaquettes (recherches C. Servelle). Plus de la moitié des haches polies est fabriquée dans des matériaux lithiques exotiques. Les haches en cinérites sont les mieux représentées. Plus connues sous le nom de «pétrosilex», les cinérites siliceuses stéphaniennes du bassin de Brousse-Broquiès ont été exploitées en carrières et dans des mines depuis le Néolithique moyen jusqu’au début de l’âge du bronze. Ces sites d’extraction sont localisés avec précision (recherches C. et G. Servelle). Les ébauches de haches étaient l’objet d’échanges complexes entre les groupes humains de la partie sud-ouest du Massif central et de la bordure orientale du bassin d’Aquitaine: Quercy, Albigeois, vallée de la Garonne. La région de Murat-sur-Vèbre a livré une seule ébauche de hache, les autres pièces étant polies. La dernière catégorie de haches, généralement de petites dimensions, comprend des roches d’origine alpine: éclogites, omphacites, métabasites à glaucophane. Ces objets ont pu parvenir sur les plateaux par l’intermédiaire des groupes humains de la région de Saint-Pons qui en étaient pourvus (recherches M. Ricq de Bouard).
L’exploitation du minerai de cuivre du gîte du Faydel durant la protohistoire n’est pas démontrée. La découverte récente d’un site sépulcral à proximité (prospection C. Servelle et C. Cambe) est un élément nouveau qui relance cette problématique.
• Les sépultures: dolmens et grottes sépulcrales. Ces sites ont fait l’objet de fouilles et de publications scientifiques par J. Lautier (1981). Les deux dolmens identifiés avec certitude se situent de part et d’autre de la vallée de la Vèbre, à un kilomètre environ en aval de Murat- sur-Vèbre. Un troisième monument existerait à la limite du Tarn et de l’Hérault, près du col de la Frajure. Ces monuments appartiennent à la catégorie des dolmens simples. La chambre sépulcrale est compartimentée. Le tumulus, fortement arasé, a un diamètre de l’ordre de quelques mètres. La table de couverture et les montants de chacun des monuments ont été prélevés aux bancs de gneiss des environs qui constituent des gîtes de dalles de choix. L’acidité du sol est responsable de la destruction totale des vestiges osseux. Il est donc impossible de connaître le nombre de corps humains déposés à l’intérieur des chambres funéraires. Le dolmen de Lagarde a livré une multitude de minuscules perles façonnées dans la stéatite, selon les fouilleurs. Le mobilier du dolmen de Castelsec comprend notamment treize pointes de flèches pédonculées du type «en sain» (chaille ou silex), typiques de la culture des Treilles, et quatre perles cylindriques à renflement médian en grès.
Certains corps étaient déposés dans des cavités naturelles exiguës, creusées dans les calcaires cambriens des monts de Lacaune. Tel est le cas de l’ossuaire de l’aven Mauray (près de Gijounet). Un petit nombre d’individus furent placés dans deux coffres rudimentaires. Le mobilier funéraire est constitué de pendeloques (dent d’ours et valve de Cardium et quelques perles cylindriques à renflement médian). La pointe de flèche pédonculée en silex, découverte fichée dans une vertèbre humaine, témoigne de la violence qui régissait parfois les relations entre les humains au troisième millénaire avant notre ère.
• Les manifestations de l’art et de croyances religieuses complexes : menhirs et statues-menhirs. La plus forte concentration de monuments se situe entre Lacaune et Murat-sur-Vèbre (fig. 22), notamment dans la dépression de Laucate, aux alentours de la Bessière, dans la vallée de la Vèbre et ses abords. La zone de contact entre la zone axiale et les terrains paléozoïques des monts de Lacaune, au Sud d’Espérausses et de Berlats, a livré un petit nombre de monuments. Deux statues-menhirs sont connues de longue date dans la haute vallée de l’Agout (Espinouse). Enfin, quelques menhirs isolés existent dans la zone axiale (cf carte).
Jusqu’à présent, aucun monument de la feuille Lacaune n’a été découvert associé à son contexte archéologique d’origine. Il y a plusieurs raisons à cela: le caractère fortuit des découvertes et la réutilisation des dalles au cours des temps historiques, la rareté des fouilles, enfin leur situation à l’écart des sites sépulcraux et des habitats. Bien qu’appartenant à la catégorie des monuments mégalithiques formés d’un seul bloc, la statue-menhir se distingue du menhir par la présence d’une sculpture en ronde-bosse ou en bas-relief, représentant un être humain ou une divinité. La gravure peut intervenir dans des proportions variables. Il est hasardeux d’assigner à leur localisation géographique une signification précise du fait des circonstances des découvertes. On constate que quelques monuments ont été trouvés à la périphérie ou dans la vaste plaine de Laucate. L’association de monuments à d’autres dépressions tourbeuses ou à des replats n’est pas établie avec certitude (statue-menhir de Tribi, près de Naujac). Elles ont été considérées par certains comme des déesses tutélaires ou des divinités protectrices. À l’aide d’arguments stylistiques on s’accorde généralement à les dater du Néolithique final ou du Chalcolithique. Ces monuments ont été l’objet de maints inventaires descriptifs, accompagnés des interprétations les plus diverses depuis les remarquables travaux publiés à la fin du XIX’ siècle et au début du xx’ siècle par l’abbé Hermet (1898). Les statues-menhirs découvertes ces dernières décennies ont été étudiées pour la plupart par J. Lautier (1981). Selon J. Amal (1985), les monuments implantés sur le territoire de la feuille se répartissent en deux groupes selon l’origine des groupes humains qui les auraient façonnés: type rodézien et type saint-poncien.
Parmi les motifs anatomiques, seuls les seins permettent de distinguer les statues-menhirs féminines des masculines. Les autres motifs anatomiques fréquemment représentés sur les statues-menhirs du groupe rouergat sont le visage, comprenant le nez et les yeux, la bouche étant toujours absente, la chevelure, les bras et les mains, les omoplates, les jambes et les pieds. Les attributs complémentaires diversement associés sont les tatouages, la ceinture ornée de chevrons et munie d’une boucle, la hache, l’arc et les flèches, la crosse, les colliers et la pendeloque, le baudrier. Il convient de réserver une place particulière à «l’objet», identifié à des objets réels ou votifs en bois de cerf, os ou jayet recueillis dans les grottes du Languedoc ou des Grands-Causses. Il fût nommé tour à tour: corne, étui pénien, poignard, pendeloque, pendeloque-poignard, etc. L’énigme n’est pas encore résolue mais la présence de «l’objet» confère à la statue- menhir un caractère masculin. Les statues-menhirs masculines dominent en nombre. Rares sont les monuments qui ont subi des transformations notables, le changement de sexe étant le cas le plus spectaculaire. Celle de Malvielle, près de Moulin-Mage, dans un premier temps masculine, fut féminisée. Celle des Arribats a changé plusieurs fois de sexe.
La détermination précise de la nature pétrographique de chacun des monuments a permis de rectifier certaines appellations erronées (recherches C. Servelle). Le granite est le matériau le plus utilisé. Le faciès de bordure du granite du Montalet, qui possède une texture mylonitique à l’origine du débit en dalles régulières, constitue les grands monuments de la plaine de Laucate. Un gîte de dalles de ce granite exploité par les hommes préhistoriques a été récemment découvert par C. Servelle, au pied du versant nord du Montalet. Quelques dalles abandonnées après épannelage voisinent avec des marteaux et des percuteurs de granite ou de quartz. Les dalles de gneiss ceillé (gneiss de Murat, gneiss du Somail) ont surtout servi autour de Murat-sur-Vèbre, bien que dans ce secteur géographique on y remarque la présence de quelques monuments en granite. L’exploitation des potentialités locales est flagrante aussi dans le cas de la statue-menhir de la Bessière, façonnée dans une dalle de métabasite. Les dalles en diorite sombre, à grain fin à moyen, issues très probablement du versant nord du Montalet, ont été dressées dans la partie nord de la plaine de Laucate (Rieuviel). Un seul faciès a été sélectionné. Deux autres dalles en diorite ont subi un transport plus important puisqu’elles furent découvertes à proximité de Cantoul (un menhir et la statue-menhir de Combeynart). Les dalles qui ont été déplacées sur les plus longues distances et dressées dans les monts de Lacaune, sont assurément celles en grès et poudingues permiens: statues-menhirs de Granisse, de Haute-Vergne, de Frescati, de Malvielle et de Paillemalbiau. L’origine précise de ces dalles pourrait être déterminée dans l’avenir par des prospections appropriées (recherches C. Servelle en cours). Le transport vers le Sud, jusqu’au pied du Montalet, de dalles de couleur rouge a pour pendant le mouvement vers le Nord des dalles de dorites sélectionnées. La signification de ces phénomènes nous échappe. Cependant, des préoccupations strictement utilitaires et techniques ne peuvent être invoquées. Des motivations religieuses ou sociales sont plus probables.
L’examen des stigmates visibles à la surface des monuments permet de reconstituer les étapes du façonnage des dalles de pierre selon la nature de la roche. Sur les dalles de granite, un épannelage sous la forme de grands enlèvements obtenus par de violentes percussions latérales précédait le martelage régulier des bords et des faces principales. Sur certaines statues-menhirs, les motifs ont été réalisés à l’aide d’instruments pourvus d’une extrémité effilée (pics). Ces traces particulièrement visibles sur les monuments en grès permien et avec moins de netteté sur ceux en diorite sombre, résultent d’un travail rythmé.
Art rupestre et énigmatiques lieux de culte
Les gravures rupestres sont principalement réparties sur l’interfluve qui sépare la vallée de l’Agout de celle de la Vèbre. Sur quelques blocs de granite et de gneiss sont représentés des symboles solaires, des cruciformes et des personnages stylisés. Il s’agit des sites du Rec deI Bosc et de la Serre, au Sud du barrage de Lauzas, étudiés par R. Guiraud et J. Giry (1972). Les figures gravées ont été obtenues par piquetage des surfaces planes de la roche.
L’ensemble du puech de la Pézille, au Sud du pic de Concord, comprend presque exclusivement des cupules ou petites cuvettes circulaires et des bassins creusés intentionnellement à la surface des blocs de granite (Azémar, 1987). Les vestiges préhistoriques découverts à proximité témoignent indiscutablement d’une fréquentation des lieux par l’homme dès la fin du Néolithique. Les cupules étaient peut-être réservées au culte des eaux ou à des sacrifices.
L’incertitude demeure quant à l’âge des gravures rupestres. Si certains éléments peuvent remonter au troisième millénaire avant notre ère, d’autres appartiennent à des époques nettement plus proches. Tel est le cas de l’écriture malhabile du Rec dei Bosc. Leur signification est également très discutée.
La transformation irréversible de l’environnement: périodes proto- historique, gallo-romaine et médiévale
La découverte de vestiges protohistoriques (âge du bronze et âge du fer) est un événement rarissime dans les monts de Lacaune et dans l’Espinouse. À la veille de la conquête romaine, l’espace géographique correspondant au territoire de la feuille Lacaune est partagé par plusieurs peuples gaulois, principalement par les Rutènes, mais aussi par les Volques Tectosages dans la partie ouest et les Volques Arécomiques dans la partie sud-est. Une monnaie émise par ces derniers proviendrait de Nages.
La région de Murat-sur-Vèbre, entre la Bessière et Plos, a livré d’abondants vestiges archéologiques significatifs car les terroirs diversifiés des serres et des collines étaient particulièrement propices à la pratique de l’agriculture. Une dizaine de sites à amphores républicaines témoignent de l’importance économique du commerce du vin importé d’Italie ou de Narbonnaise, au premier siècle avant notre ère. Le principal chemin antique qui assurait la liaison entre le plateau de Murat-sur-Vèbre et le bas-pays languedocien, porte encore par endroits les ornières creusées dans la roche par les charrois. Aménagé par la suite en voie romaine, il permettait de se rendre de Béziers à Cahors par l’Espinouse en passant au pied de l’oppidum du Plo des Brus (feuille Bédarieux) puis près des localités de Murat, Barre, Roquecésière, etc.
La paix romaine, installée au premier siècle de notre ère, favorise la diffusion de la céramique sigillée et des tuiles à rebords, vestiges qui caractérisent une vingtaine de sites ruraux. Les marques de potiers recensées appartiennent aux productions de la Graufesenque et de Montans. L’emplacement de deux sanctuaires a été localisé, dont un au sommet du mont Gos.
Quelques sites ont livré des scories de fer associées à des débris d’amphores. Les gîtes de fer abondent aux alentours de Lacaune. Cependant, il serait prématuré d’affirmer que les filons minéralisés en fer (hématite) ont été exploités par les Romains. Par contre, l’exploitation du fer, en tranchées ou en mines, est attestée à l’époque médiévale par les documents d’archives du XIV et XV’ siècle (Cordier, 1882-1883 ; Portal, 1904; Allengrin, 1973). Une ancienne mine de fer particulièrement bien conservée a été récemment identifiée et explorée. Il s’agit certainement de l’une des mines citée dans les documents du xv’ siècle, en l’occurence le Luminier (recherches C. Servelle et C. Cambe).
Christian Servelle ajoute aujourd’hui (octobre 2023) :
Un fait nouveau vient confirmer l’occupation durable de la montagne tarnaise au Néolithique final/ Chalcolithique :
Une surveillance archéologique (prospection et sondage), effectuée par l’INRAP en 2021/2022, sur le tracé de la ligne électrique souterraine Causses-Dourdou a permis de découvrir à proximité de Murat-sur-Vèbre, puis de fouiller, une structure de combustion à pierres chauffées. C’est une fosse de forme rectangulaire remplie de dalles et dallettes de schiste. Des charbons de bois en provenant ont fait l’objet d’une analyse 14C.
Les résultats obtenus se situent vers la moitié du IIIe millénaire avant notre ère, soit entre 2579 et 2463 cal BC.
Références bibliographiques de cette opération :
Pons F. (dir.) 2022 – Rapport de diagnostic, 110 p., 34 fig., 30 photos.