En octobre 1958, j’entre à l’X, juste après le retour au pouvoir de de Gaulle,, suite à la rebellion menée à Alger pour le maintien de lAlgérie française.
Au cours de l’année scolaire, nous, les X, avons droit à un amphi du Général. Rien ne concerne l’Algérie, mais une invitation à la modernisation. Voilà quelques extraits :
Mais les conditions dans lesquelles nous vivons, l’essor incroyable de notre ère industrielle et tout ce qui s’y rattache en fait de techniques, de recherches, de réalisations, tout ce qui s’y rapporte d’énergie, de masse, de vitesse, nous enveloppe de conditions matérielles qui tendent à nous emporter. C’est pourquoi il est essentiel que, plus ces conditions matérielles s’élèvent, déferlent, cherchent à gouverner, et plus doit persister et s’imposer la domination de l’esprit. En notre temps, ce que la France demande à Polytechnique, c’est justement de former, comme l’École l’a toujours voulu, des hommes dont l’intelligence et dont le caractère soient capables de maîtriser, la matière et par conséquent de l’utiliser dans l’intérêt général, au lieu de laisser le monde s’asservir sous sa loi. Que vous pratiquiez ici, Messieurs, tout ce qui définit votre Ecole et fait sa grandeur : la connaissance scientifique, la discipline et la solidarité, le travail personnel, tout cela est capital pour assurer le triomphe de l’esprit sur la matière.
…
Messieurs, je veux terminer ces quelques mots en vous invitant à élever avec moi votre pensée, justement, vers la France. Ce qu’elle attend de vous est à la mesure de ce qu’elle vous donne et de ce qu’elle vous a donné. Ensuite, dès que vous entrerez, et ce ne sera pas long, dans la période de la vie où vous serez en activité, vous portez, à son égard, – vous portez déjà – l’honneur des responsabilités.
Voilà l’invitation qui est faite à nous et au pays de revisiter le rêve bonapartiste d’une modernisation de la France, pour assurer la base de sa puissance.

En 1961, je me retrouve sous-lieutenant en Algérie et pendant que nous sommes en formation, très nombreux à Arzew, des généraux à Alger tentent un putsch contre le général de Gaulle coupable à leurs yeux de brader l’Algérie, alors que militairement la rébellion est écrasée. Et, nous, les sous-lieutenants issus des grandes écoles (X, Centraliens, Mineurs, etc.), de façon unanime, nous faisons allégance au Général. Aucun d’entre nous ne voyait son avenir dans un putsch militaire. Le processus naturel ferait de nous automatiquement des provilégiés. Inutile pour nous de nous lancer dans une aventure de prise de pouvoir par l’Armée.
En octobre 1962, je me retouve pour un stage d’un an dans les Houillères de Lorraine, au puis Saint-Charles à Petite-Rosselle.
D’entrée, je suis l’objet d’un bizutage en règle du chef de siège, ce qui reflétait une profonde rancœur chez cet ingénieur devant la politique nationale menée et dont il imputait la responsabilité au corps des mines, dont il avait un petit jeune sous la main.
Déjà, on avait conduit au niveau national pour les mineurs de charbon une politique de salaires assez restrictive pour éviter l’emballement de la subvention qui devenait préoccupante.
Et en avril 1963, un certain lundi, toutes les mines de charbon étaient à l’arrêt et seuls les mineurs de Lorraine devaient travailler. Les syndicats ouvriers avaient appelé à la grève. Comme les mineurs de Lorraine étaient les seuls à être gaullistes, le gouvernement avait cru malin de décréter la réquistion des mineurs.
Et là, il se produit un évènement imprévu. Les ingénieurs se réunissent dans une arrière salle d’un café de Merlebach. J’y assiste, faisant un stage d’ingénieur. Tous les responsables qui s’expriment se prennent pour des révolutionnaires et appellent à soutenir la grève. En effet, ces braves ingénieurs avaient commencé leur carrière juste au lendemain de guerre et avaient été attirés par la plus prestigieuse carrière, celle de la mine, avec une magnifique maison de maître et de menus avantages dans une période qui connaissait encore de grandes resrictions.
D’un coup, ils prennnent conscience que c’est la fin de l’âge d’or pour eux et que la concurrence pétrolière les balaiera. Aussi, ils étaient devenus les plus enragés supporters de la grève, sans la faire eux-mêmes. En sortant de la réunion, j’entends les mineurs accoudés au bar, exprimer leur stupéfaction : Die ingeniere whalte streike. Ça n’a pas traîné. Les porions (contremaîtres) qui avaient voté pour ne pas faire grève, décident de se réunir à minuit pour changer de position.
Et le lendemain matin, les rares mineurs qui se pointaient ont été renvoyés chez eux par les ingénieurs qui se transformaient en effcaces piquets de grève. Du coup, ce fut un véritable coup de grisou au niveau national et la grève dura un mois et dix jours.
Le Général et surtout Pompidou avaient dû affronter la dure réalité de la vie économique et les ravages de la modernisation allaient être terribles.
Dans la foulée, le gouvernement crée la DATAR pour faciliter la création d’emplois dans les bassins touchés par la baisse des emplois. En 1964, sont créés les Régions et les missions régionales, où j’ai eu l’occsion de seconder le Préfet pour maintenir les Houillères de Carmaux en faisant investir une centrale électrique à charbon. Aussi également pour sauver la sidérurgie à Décazeville et à Saint-Juéry (à côté d’Albi).
En 1967, le directeur des mines qui s’était investi pour aider au maximum les mineurs, me fait venir auprès de lui pour le seconder avec la notice d’emploi qu’il lui valait mieux un ingénieur des mines d’origine méridionale et populaire comme lui qu’un grand bourgeois parisien insensible à la misère du peuple.
Rapidement, on me demande d’accompagner Chirac, jeune secrétaire d’État à l’emploi pour rassurer les mineurs de Lorraine. Là j’ai été bluffé par le talent de Chirac ainsi que par son écoute à mon égard.
En 1968, après l’échec de l’application des accords de Grenelle, des négociations ont dû être reprises, entreprise par entreprise. Comme je suis chargé du social dans les mines, je suivais les discussions que Gardent, DG des Charbonnages, mènait avec les syndicats emmenés par la CGT du Nord, dont avait été issu Maurice Thorez. Et ces braves syndicalistes toisent l’équipe des Charbonnages : « Voyons ceux qu’on va fusiller ou non ! »
Les discussions furent rugueuses et à la fin, Gardent me demande ce qu’on peut faire. Je descends au cabinet de Guichard, où on me dit : « Lachez tout, il n’y a que Mendès-France pour nous sortir de là ! » En effet la coupure entre de Gaulle et Pompidou était totale et les ministres ne savaient plus qui dirigeait la France.
Cette coupure entre l’Élysée et Matignon m’a été racontée par l’ingénieur des mines chargé de suivre l’industrie à l’Élysée : « Je n’avais aucun dossier sur ma table, je faisais des réussites ! »
En fait Pompidou trustait tout le pouvoir et cela s’est traduit peu après par le départ de de Gaulle en 1969.
Mais dés les élections de 1968, Couve de Murville remplace Pompidou à Matignon et André Bettancourt est nommé ministre de l’industrie. Je suis en charge du charbon. Un conseil restreint à Matignon décide de la fermeture en 1975 d’Alès, de Saint-Étienne, de La Mure et des Houillères d’Auvergne. Je prépare le discours du ministre qu’il lit devant les syndicats. Celui-ci conclut en disant : « Entre nous, je ne connais rien au sujet et je vous ai lu ce qu’on m’a préparé. Mais voyez-vous, dans la commune dont je suis le maire, le bureau d’aide sociale distribue gratuitement des bons d’achat de charbon aux nécssiteux et plus personne n’en veut ! » Les fermetures annoncées n’émeuvent pas outre mesure : 1975 c’était dans sept ans et des choses se passeraient entre temps.
De Gaulle fait le referendum-suicide et s’en va. Pompidou, sur le banc de touche est le gagnant de l’histoire.
Et arrive le gouvernement Chaban-Delmas et son équipe de jeunes gens d’avenir qui traitent par-dessus la jambe un Claude Daunesse qui vivait comme un drame personnel le malheur des mineurs. Et cet homme de caractère et de conviction se suicide. La grande bourgeoisie parisienne n’allait pas se pourrir la vie avec les mines de charbon situées dans des coins pas possibles. Le suicide de Daunesse est traité comme un non-évènement.
Et voilà les années 1960 sont celles qui voient passser les mineurs du statut de hérauts de la classe ouvrière à celui de réprouvés. Ainsi de Gaulle vieillissant, qui a laissé la réalité du pouvoir à Pompidou, se trouve coupé du monde ouvrier qui avait contribué à le porter au pouvoir et dont il était dans son cœur plus proche que de celui de la Bourse. Son discours sur la participation tombait dans un vide entre le bloc des marxistes et celui des libéraux proaméricains.