LA PERCEPTION RELIGIEUSE DEL BIAIS Par Claude CUGNASSE
Monsieur Robert PISTRE me demande d’expliquer ce mot occitan à partir de la tradition chrétienne. Selon le dictionnaire occitan de Joan de cantalauso, BIAIS ou BIAISSUT signifie « habile », « adroit », que ce soit dans les gestes manuels que dans les mots et l’esprit. Si on cherche du côté de la théologie spirituelle, on trouve le mot « charisme », c’est-à-dire un don de Dieu qui permet de réussir sa vie ou telle mission. Saint Paul en a longuement parlé dans sa première Lettre aux Corinthiens (1Co 12).
Je me risque à donner quelques exemples :
Si Mgr LAURENCE, l’évêque de Tarbes-Lourdes au temps de Bernadette a reconnu les apparitions, c’est que cette adolescente suscite son admiration par ses réponses alors qu’elle est encore illettrée.
Le témoigne de Bernadette vu par Mgr LAURENCE
« Le témoignage de Bernadette présente toutes les garanties que nous pouvons désirer (…). Qui n’admire, en l’approchant, la simplicité, la candeur, la modestie de cette enfant ? Pendant que tout le monde s’entretient des merveilles qui lui ont été révélées, seule, elle garde le silence ; elle ne parle que quand on l’interroge ; alors elle raconte tout sans affectation, avec une ingénuité touchante ; et aux nombreuses questions qu’on lui adresse, elle fait, sans hésiter, des réponses nettes, précises, pleines d’à-propos, empreintes d’une forte conviction. Soumise à des rudes épreuves, elle n’a jamais été ébranlée par les menaces ; aux offres les plus généreuses, elle a répondu par un nobledésintéressement. Toujours d’accord avec elle-même, elle a, dans les différents interrogatoires qu’on lui a fait subir, constamment maintenu ce qu’elle avait déjà dit, sans rien y ajouter, sans rien yretrancher ».
Mandement de Mgr Bertrand-Sévère LAURENCE,
évêque de Tarbes, 18 janvier 1862
Pierre TEILHARD DE CHARDIN, au moment ou l’on conteste ses vues théologiques, écrit ceci qui dépasse la souffrance : Cette force ennemie, qui l’abat et le désagrège, s’il l’accepte avec foi, sans cesser de lutter contre elle, elle peut devenir pour lui un principe aimant de rénovation. Tout est perdu sur le plan expérimental. Mais, dans le domaine du surnaturel, une dimension de plus existe, qui permet à Dieu d’opérer, insensiblement, un mystérieux retournement du Mal en Bien. Quittant la zone des réussites et des pertes humaines, le chrétien accède, par un effort de confiance au Plus Grand que lui, à la région des transformations et des accroissements suprasensibles. Sa résignation n’est qu’un élan pour transposer plus haut le champ de son activité.
Le charisme du bonheur est aussi un don de Dieu. Voici quelques lignes de mon frère Gilbert qui aimait l’occitan. Lo bonaür se crompa pas… E los joves an pas completament tòrt de romegar contra « la societat de consum », coma disèm… Vos sovenètz d’aquela istòria qu’arribèt al rei Loís XI, que viviá totjorn negre e trist dins son castèl de Plessis les tours… Ausissiá cada jorn un lauraire que cantava jos sa fenèstra. El, aviá pas fantasiá de cantar ! Demandèt a un bruèis cossí far per aver l’èime de cantar coma aquel paîsan. L’autre li respondèt : vos cal cargar la camisa d’un òme urós… Sul còp, lo rei mandèt quèrre lo boièr e li demandèt sa camisa. Lo paure enfant li repliquèt : « mas que n’ai pas de camisa ! » Es aital benlèu que se’s experimentada la promessa de Nòstre Sénher : « Uroses los que gardan una arma de paure. Aqueles son pas devorats per l’enveja de ganhar totjorn mai e per la crenta de ba pèrdre. »
TRADUCTION : Le bonheur ne s’achète pas… Les jeunes n’ont pas complètement tort de protester contre la société de consommation, comme on dit …
Vous souvenez-vous de cette histoire qui est arrivée au roi Louis XI, qui vivait toujours en noir et triste dans son château de Plesss-les-Tours… Il entendait chaque jour un laboureur qui chantait sous sa fenêtre. Lui n’avait pas envie de chanter ! Il demanda à un sorcier comment faire pour avoir l’envie de chanter comme ce paysan. L’autre lui répondit : « il vous vous faut mettre la chemise d’un homme heureux. »
Sur le champ, le roi demanda d’aller chercher le bouvier et il lui demanda sa chemise. Le pauvre enfant répondit : « mais qu’il n’avait pas de chemise ! »
C’est ainsi que s’est expérimentée la promesse de Notre Seigneur : « Heureux ceux qui gardent une âme de pauvre. Ceux-là ne sont pas dévorés par le désir de gagner toujours plus et par la crainte de le perdre. »
Lo biais est un don de la nature ou de Dieu si vous êtes croyants.
Depuis la publication de cet article, le Père Bories nous a envoyé ce message :
Pour un chrétien, le fait que en Jésus, Dieu se soit fait homme pour apprendre, à l’école des artisans et paysans de son pays, ce que c’est que devenir un HOMME , est pour moi le signe que l’école du biaïs est une des meilleures écoles pour devenir soi, pour donner le meilleur de soi même et pour participer à la construction d’un monde fraternel de plus l’hébreux dans lequel Jésus est enraciné est une langue très concrète , très attaché au voir, au touché et à l’écoute elle ne fait pas dans l’abstraction
l’Eglise a beaucoup reçu du biaïs de beaucoup de ses prêtres, religieux, religieuses et laïcs qui ont imprimé leur savoir être et leur savoir faire dans le monde aujourd’hui, il fait souhaiter que les biaïs ne lui manque pas pour relever les défis de notre temps avec l’intelligence de la pratique que procure le biaïs
plaise à Dieu que le biaïs ne lui manque pas trop!!!
COMMENTAIRE DE XAVIER GRENET
Paul Cugnasse quI se réfère au chapitre 12 de la Première Lettre que Saint Paul adresse aux Corinthiens. « Il y a diversité des dons de la grâce, mais c’est le même Esprit » (v. 4), leur écrit-il, avant de les énumérer, puis de conclure avec force : « Tout cela, c’est l’unique et même Esprit qui le met en œuvre, accordant à chacun des dons personnels divers, comme il veut » (v. 11). Être habile, adroit, consisterait en ce sens à se laisser guider par l’Esprit. La morale de l’histoire que raconte Gilbert, le frère de Paul, va dans le même sens, mais d’une façon, me semble-t-il, assez lâche. Et le Pape François bénirait sans doute cette lecture chrétienne du biaïs, puisque je l’ai entendu dire à plusieurs reprises qu’il était « malin ». Dans la foi, je m’y retrouve. Mais nous ne pouvons pas oublier qu’il y a à coup sûr beaucoup plus de non croyants que de chrétiens qui sont riches d’ingéniosité, de débrouillardise, d’adresse et de savoir-faire…Cela ne retirant rien pour autant à ce qui précède.