Chers amis,

            Peut-être avez-vous été surpris par le titre un peu provocateur que nous avons donné à cette publication. J’en conviens Lacaune n’est pas connu pour être un port de mer ; notre montagne n’a pas donné de grands capitaines au long cours, mais elle a suscité des négociants maritimes d’envergure, comme vous pourrez le découvrir à la lecture de l’ouvrage.

Je commencerai par deux anecdotes pour vous expliquer l’origine de ces lettres, puis les raisons de leur publication :

            Mais replaçons-nous dans le contexte de l’époque :

Avant la Révolution, on ne fait pas la guerre en hiver et les officiers bénéficient presque une année sur deux d’un grande permission hivernale appelée « semestre », qui leur permet de rentrer chez eux. Le reste du temps ils sont en garnison, le plus souvent aux frontières nord ou est de la France et ils ont parfois du temps libre.

A cette même époque, la maison familiale est habitée par Jacques, sa femme et ses filles ; les garçons sont tous officiers, comme leur père.

  • En 1781, mon ancêtre Henri, alors âgé de 18 ans, est officier en garnison à Poitiers ; loin des théâtres d’opération, il suit les entrainements militaires, mais ceux-ci semblent laisser quelques loisirs et Henri écrit à son père, Jacques :

« J’apprends depuis quelques jours à jouer du violon, à tirer les armes et à danser. Je fais de grands projets de faire beaucoup danser les dames de notre montagne la première fois que j’aurai le plaisir de les voir »

  • Puis, son régiment s’installe à Lille et il écrit, le 24 mars 1782 : « Nous avons beaucoup perdu en quittant Poitiers. Il n’y a d’autre ressource ici que la comédie, encore est-elle assez mauvaise. On ne peut aller dans une société sans y jouer très gros jeux ; n’étant pas en état de cela, il faut rester une partie de la journée dans sa chambre ; il y a heureusement beaucoup de gibier…le prince de Robec et l’intendant nous ont donné chacun un bal où il y avait 205 femmes »
  • Malgré les bals de Lille, Henri reste fidèle à ses projets puisqu’il épouse, à Lacaune en 1807 une dame de notre montagne, Caroline Cabanes, petite nièce de Jean Cabanes qui nous occupe aujourd’hui ; Jean Cabanes était célibataire et ses papiers sont préservés par sa petite nièce ; après une vingtaine d’années passée à Lacaune, le ménage s’installe à Larambergue. C’est ainsi que ces correspondances sont entrées dans la maison familiale et y ont été préservées et classées par les générations qui nous ont précédés. Qu’elles en soient remerciées !
  • Mais je dois vous avouer que j’ignorais tout du négoce maritime au XVIIIème siècle, et du rôle joué par Cadix dans les échanges avec l’Amérique du Sud ; c’est Robert Pistre qui nous le révéla un jour, nous incitant à chercher dans les archives familiales quelques traces de cette époque. C’est ainsi que nous avons remis la main sur la correspondance écrite par Jacques Rabaud, également originaire de Lacaune et négociant à Marseille, correspondance reçue par Jean Cabanes ; puis en cherchant plus avant, nous avons trouvé les doubles des lettres adressées par Jean Cabanes à Jacques Rabaud, doubles qui s’expliquent par les affaires dont elles traitaient et qui nécessitait d’en garder trace.

Face à ses correspondances, encore fallait-il les lire, les comprendre, les replacer dans le conteste de l’époque. Je voudrais souligner ici l’intérêt très stimulant pour nous que Monsieur le professeur Gilbert Buti a bien voulu porter à ses documents originaux dont il nous parlera tout à l’heure. Sans son apport décisif, rien n’eut abouti.

Quelques mots maintenant pour vous présenter succinctement nos correspondants, en ayant présent à l’esprit que ces correspondances sont échangées entre 1771 et 1793

 Jean Cabanes :

  • Il est né en 1720
  • Issu d’une grande famille protestante des Monts de Lacaune, d’une famille de négociants de textiles
  • Dans les années 1740, avec ses deux frères, il rejoint son oncle, Jacques, à Cadix qui les associe à ses affaires ; il faut rappeler ici que Cadix a le monopole du négoce avec l’Amérique du Sud
  • Fortune faite, il rentre une trentaine d’année plus tard à Lacaune (d’où son surnom Cabanes l’Espagnol) pour s’occuper de son oncle Jacques, dit Cabanes Cadix ; ce dernier décède rapidement et à partir de 1773 Jean Cabanes partage son temps entre Lacaune, Marseille, quelques voyages à l’étranger et surtout Paris, où il fréquente la cour du roi et s’efforce de faire aboutir les affaires de son ami Jacques Rabaud, négociant à Marseille dont il est associé.
  • Puis l‘Angleterre affirme sa suprématie sur les mers, ce qui ruine le négoce maritime français. Jean Cabanes ne peut recouvrer les prêts ou placements qu’il avait consentis, ni du côté des armateurs, ni du côté de la noblesse ruinée. De surcroît, il contribue largement à éponger les dettes de certains de ses neveux, soit directement avant son décès en 1801, soit après, les héritiers étant criblés de dettes, notamment le père de notre ancêtre Caroline Cabanes .

Jacques Rabaud :

  • Il est né à Viane en 1737
  • Il est présent à Marseille dès 1755 et épouse en 1775 Philippine Baux, membre d’une grande famille protestante établie à Marseille
  • La société Rabaud est présente à Marseille en 1764 ; en 1770 le principal commanditaire est Marc Cabannes, frère de Jean établi à Montpellier.
  • En 3 décennies seulement, J Rabaud s’est hissé à la plus haute marche des fortunes et du négoce marseillais
  • Mais en 1793 la situation devient compliquée à Marseille ; J. Rabaud est convoqué Paris, puis arrêté et guillotiné en 1794 pour des motifs un peu incertains qui sont exposés dans l’ouvrage.

Je voudrais souligner, pour terminer mon exposé, quelques caractéristiques de cette correspondance :

Les deux familles sont originaires de Lacaune, protestantes, investies dans le négoce international. Au fil des correspondances des nouvelles sont échangées sur différents membres de leur famille ou sur des évènements (mariage, etc)

Nos deux correspondants (Jean et Jacques) se connaissent bien, au point de s’appeler respectivement « Don Juan » et « Don Diégo ».

Don Juan a peut-être un double sens sous la plume de Jacques Rabaud. En effet, Jean Cabanes aime la vie mondaine et J Rabaud lui écrit en 1772 :

« Caro Sr. Don Juan, je suis privé depuis bien du temps de vos nouvelles, vous savez combien elles m’intéressent et le plaisir que vous me ferez de m’en donner. Prenez quelques moments sur vos occupations amusantes, je ne vous en connais pas beaucoup d’autres que vous êtes heureux, mon cher Monsieur, de passer l’hiver dans le petit Paris auprès d’une famille que vous aimez autant comme vous en êtes chéri et auprès encore d’une infinité d’aimables demoiselles dont les occupations n’empêchent pas de recevoir votre cour le matin et l’après-midi. Nous ne sommes point aussi fortunés en Provence, attachés toute la journée à la charrue, nous n’avons que la soirée pour aller conter la fleurette dans les cercles à la Comédie ou au Concert…. Il y a de très aimables et élégantes demoiselles qui dansent jusqu’à 15 contredanses sans prendre haleine. …comme ce sont les plus jolies,… elles occupent plus assidument la scène ;…. Toutes nos dames et demoiselles regrettent beaucoup de ne pas vous y voir comptant que les grâces réunies à la beauté vaincraient votre cœur qui a été trop insensible. Toutes ces dames vous font mille compliments. »

Ils s’estiment beaucoup, et témoignent d’une grande confiance mutuelle ; mais les affaires sont les affaires et les comptes doivent être justifiés.

Ils ont en commun le souci de la formation des jeunes générations et notamment 4 neveux de Jean Cabannes qui vont se succéder à Marseille auprès de Jacques Rabaud

 Au début des années 70 c’est Marc ; mais il est peu doué pour les affaires ;  les relations de Jean Cabanes lui permettent de devenir garde du corps de Louis XVI, d’où son surnom Cabanes le garde

Au milieu des années 70, c’est Marc-Antoine ; mais au bout d’un an, voici ce que JR écrit à son sujet : « Votre neveu, Mon cher Monsieur, ira vraisemblablement passer quelques mois auprès de Monsieur son père en attendant qu’il puisse partir au mois d’août pour l’Inde avec Monsieur Brémond, si la famille persiste à le faire embarquer ; il paraît qu’il le désire toujours ; je souhaite qu’il ait plus de talent pour la navigation que pour le commerce ; il ne fait aucun progrès parce qu’il manque de désir de se former, il a par contre assez de goût pour les plaisirs ».

En 1777 voici ce que Jean Cabanes écrit à son ami au sujet des dépenses de ce neveu : «  je les trouve irrégulières et trop fortes ; ce garçon sera toujours mou, il n’aura jamais du goût pour rien et finira par se marier, bien ou mal ; son frère a fait, il est vrai, un très bon mariage à tous égards et je veux croire qu’il n’aura jamais aucun sujet de s’en repentir ; il est pourtant certain qu’on ne réfléchit que peu ou point du tout quand on est jeune et qu’on ne reconnaît ses sottises que lorsqu’il n’est plus temps d’y remédier »

Marc-Antoine ne poursuit pas dans le négoce : il se marie en 1780 avec Henriette Dumas ; on le retrouve officier des dragons puis capitaine de la garde nationale en 1790 ; ils ont 4 enfants dont Marie-Caroline Françoise qui épouse Henri de Larambergue, dont nous avons parlé en introduction.

A la fin des années 70 c’est Jean ; le seul qui ait réussi puisqu’il est envoyé, après une formation à Marseille, à Mogador, au Maroc, pour y tenir un comptoir, d’où son surnom Cabanes Mogador ; JR écrit à son sujet « Votre 3ème neveu est à Mogador rempli de bonne volonté ; Constant (Son patron local) est fort content de lui, il a de l’intelligence et il est fort appliqué.

Dans les années 80, c’est Paul ; Je vous laisserai découvrir les difficultés rencontrées qui nous sont révélées au fil des correspondances et qui font écrire à Jean Cabanes en 1792, citant un proverbe espagnol : « si Dieu ne nous donne pas des fils, le diable nous envoie des neveux ».

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