Il m’a rendu huit fois la semence
Notre grand père, Elie, exprimait ainsi la récolte de céréales sur telle parcelle.
Il n’y avait pas d’article dans sa phrase en occitan, seulement « M’a rendut.. », si bien que l’on ne sait pas s’il louait la semence où la terre nourricière. Le chiffre multiplicateur variait entre 8 et 10 et exprimait donc le rendement en sacs .
On semait environ deux sacs par hectare, on récoltait donc dans le meilleurs des cas 20 sacs /ha . La conversion en quintaux ne s’imposait pas car on vivait en autarcie, le blé était moulu et transformé en pain, les autres céréales destinées aux animaux.
Cette manière d’exprimer le rendement révèle un lien très fort entre le paysan et sa terre, une forme de reconnaissance à la nature bienfaitrice qui lui permet de nourrir sa famille, ou même de survivre si l’on relève un autre chiffre que je découvre dans une thèse récente d’Anne Marie Gouérou sur l’histoire rurale du Tarn.
Vers 1850 dans la commune de Murat, 5O% des propriétés ont moins d’un Ha, 76% moins de 5 ha et leurs revenus sont dérisoires…L’auteure ne dit rien des « brassiers », tels mes arrières grands parent paternels qui possédaient une masure et louaient leurs bras dans les grandes propriétés ; peut être sont-ils classés dans les moins d’un Ha ?
Un siècle plus tard, la ferme familiale est née à la Grange de Paillemalbiau, a migré en 1917 à Paillemalbiau et atteint une trentaine d’ha. Le souci de gagner des terres labourables est bien ancré et nous défrichons au « bios » des micro parcelles envahies de genêts en bordure des terrains communaux du « Cabanel ». Grands adolescents nous participons à l’exercice, c’est la règle commune, nos aînés soutiennent notre motivation en nous disant :« Plus les genêts sont grands (et difficiles à déraciner) plus la terre sera fertile ».
Pour terminer, une histoire de défriche aux antipodes du « Cabanel ».
Dans les années 1960, promoteur des engrais liquides dans le Nord-Est, je suis en affaires avec trois frères qui gèrent une ferme de 1 000 ha née du défrichage de la Champagne dite pouilleuse. Nous sommes en confiance, ils me font part de leur nouveau projet : acheter des terres au Canada ou la terre est moins chère, y cultiver du blé de printemps, profiter du décalage de travaux (en Champagne c’est le blé d’hiver qui domine), utiliser le même matériel transporté par cargo et donc accélérer son amortissement., Le projet a échoué.. Le prix du blé canadien est fixé à la Bourse de Chicago et non à Bruxelles !
Joseph Garenq Juin 2022
