Voici ce qu’écrit Jean Delmas dans le Bulletin du Cercle généalogique du Rouergue, n° 116, avril 2021.

La comptabilité de Paulin de Naurois, reflet de l’activité rurale et des innovations d’un propriétaire éclairé des monts de Lacaune (1847-1857).

NAUROIS (Eric de) et PISTRE (Robert), De l’arrivée de Paulin de Naurois à Lacaune au lancement de la fameuse race de brebis (1847-1857), 81320 Nages, Centre de Recherche et du Patrimoine de Rieumontagné, 2020, 128 p.

Les historiens et les généalogistes savent tous les enseignements que l’on peut tirer des livres de comptes familiaux ou professionnels. C’est l’exercice auquel s’est livré Robert Pistre à partir  du livre de comptes du domaine agricole de Calmels (Lacaune), tenu de 1847 à 1857 par Paulin de Naurois, ancêtre de son co-auteur, Eric de Naurois.

La famille de Naurois est originaire de Champagne. Le grand-père de Paulin fut directeur de la Manufacture royale des glaces de Saint-Gobain. Sa mère, Rosine de Solages, appartenait à une ancienne famille rouergate devenue propriétaire et concessionnaire des mines de Carmaux. C’était l’alliance de la vieille aristocratie terrienne et d’une nouvelle génération d’entrepreneurs, mais aussi l’amalgame d’un fonds catholique et d’une philosophie de progrès social (représenté, pendant la dernière guerre, par les deux cousins prêtres et résistants Mgr Bruno de Solages et René de Naurois).

Paulin de Naurois appliqua cet esprit de progrès à la gestion  de son domaine de Calmels. Grâce à l’analyse de Robert Pistre, nous suivons année après année, de 1847 à 1857 les activités normales de son exploitation et les opérations révélatrices de ses choix agronomiques. J’ai fait une sélection de quelques thèmes: 

-1847-1848 : construction d’un four à chaux (calcaire du voisinage et charbon provenant du bassin voisin de Graissessac), afin de chauler les terres acides de Lacaune ; introduction de charrues  mousse du système Rouquet (versoir incurvé), d’une balance romaine à cylindre, d’un buttoir et d’un extirpateur (en fer) ; création de prairies artificielles en semant du trèfle ou de l’esparcet(sainfoin). Paulin ne méprise pas les remèdes éprouvés par l’usage local (la « triaque » ou thériaque, l’huile de cade, l’orviétan) ; il achète des « paillasses » (récipients de paille), des « mousquals » (chasse-mouche), etc., et emploie à l’occasion les appellations du terroir, ce qui témoigne de son intégration en terre occitane.

-1848-1849 : il a recours à la pratique de l’abonnement annuel auprès d’un vétérinaire, comparable à celui qui était conclu avec le forgeron sous le nom de relhatge [1];  achat de semences (ers, colza, millet, etc.) ; tentative de plantation d’aubergines. 

-1849-1850 : il embauche un chaufournier ; achat d’une charrette limonière (à brancards), d’épeautre, de graines de navets, de « parosine » (poix-résine) ; introduction de porcs anglo-chinois (dont l’Aveyronnais Amans Rodat vient de vanter  les qualités de la viande, en 1839).

-1853-1854 : il livre désormais ses fromages de brebis à Roquefort. Avant, le rayon de Roquefort  ne dépassait pas 7 ou 8 lieues, soit une trentaine de km, en raison de l’état des anciens chemins et de la durée du transport. 

-1855-1856 : ayant probablement découvert à l’Exposition universelle de Paris de 1855 la brebis Southdown, race appréciée pour ses qualités  de bonne laitière, Paulin achète aux bergeries d’Alfort et introduit dans sa propriété un bélier Southdown, puis, l’année suivante, cinq brebis de la même race. Il va réaliser un croisement avec la race de Lacaune. Dans son livre Le Roquefort(Rodez, 1906), Eugène Marre lui attribue l’amélioration de cette race. Achat d’une batteuse Pinet, à manège, provenant de la fabrique d’Abilly (Indre-et-Loire)[2].

-1856-1857 : introduction de pommes de terre Chardon ; achat d’une baratte centrifuge de Girard, système du major Stiernsvard (Suède).

L’exemple de Paulin de Naurois sera observé par toute la campagne environnante (Tarn et Aveyron).

L’ouvrage est abondamment illustré et complété par sept annexes : les fours à chaux, la fabrication du roquefort en 1836, des extraits de la thèse de doctorat vétérinaire de Germain Pérès sur la brebis de Lacaune (1927), un bail de métayage en 1844, etc. Cet ouvrage est un modèle à suivre, si l’on a la chance de disposer de comptabilités de ce genre. Grâce à de telles recherches, on pourra mieux connaître la chronologie des progrès agricoles dans nos régions au cours du XIXe siècle.

Jean Delmas


[1] J’en ai parlé dans  « Une ancienne forme de contrat : l’abonnement », dans BCGR,  no 49, juillet 2004 ; ou Mœurs et coutumes du Rouergue, I, 2012, chap. 49.

[2][2] En 1843, au cours de sa tournée pastorale, Mgr Croizier, évêque de Rodez, découvre (déjà !) à Loc-Dieu, propriété de Cibiel « une invention qui va révolutionner l’agriculture, une machine à battre le blé ». Les grands propriétaires donnent l’exemple (BCGR, 76, 2011, p. 30-31).

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1 Comment

Cavaillès Raymond · 26 mars 2021 at 16 h 01 min

Magnifique et en plus documenté! C’est certain cela deviendra un lieu de pèlerinage comme à Saint Meen! mais les raisons en sont autres! Bravo aux artistes et aux porteurs du projet.

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