Yves Gayraud est né en 1933. Il nous donne quelques étapes de sa carrière d’Agent forestier de 1956 à 1992 avec des passages dans les Monts de Lacaune avec des réalisations qu’il a menées à bien.

            Le temps passe si vite, mais du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été entouré par la nature.

Mon père est né dans la commune de Cambon-et-Salvergues à Sénégas. J’ai grandi avec mes parents au lieu dit le Fau commune de Castanet-le-Haut. Mon père y avait hérité d’une ferme et il essayait tant bien que mal de nous faire vivre sur ces terres difficiles. Pour compléter ses revenus, mon père occupait un poste de cantonnier. La vie n’était pas facile mais j’y étais malgré tout très heureux.

J’ai passé toute mon enfance « au Fau ». J’ai traîné mes guêtres au milieu de cette montagne si dure mais si belle.

            Après des études élémentaires, je décidai de m’orienter vers un métier d’avenir : je choisis de suivre une formation pour obtenir un CAP d’électricien. Je n’étais pas très assidu au travail scolaire aussi le directeur de l’école a décidé que je ne me présenterai pas à l’examen du CAP. Je ne me suis pas découragé pour autant et me suis inscrit aux épreuves en candidat libre : Je voulais montrer que j’étais capable. Cette volonté m’a permis de terminer premier du département dans cette discipline.

            Le CAP en poche, j’envisageai de m’orienter dans l’aviation et donc de partir à Toulouse. Mais mon père trouva que c’était trop loin et qu’une fois parti, je ne reviendrai plus dans nos montagnes. Alors, je dus me résigner. Mais les mois passant, je voyais de nombreuses de mes connaissances quitter cette montagne pour découvrir de nouveaux horizons.

Après réflexion, je décidais donc de passer le concours des Eaux et Forêts. Ce choix me permettrait peut-être de rester dans nos montagnes. Certes, je me baladais souvent dans nos forêts, mais j’avais très peu de connaissances forestières. Mon père connaissait un ancien forestier qui habitait Lamalou-les-Bains : il accepta de m’apprendre quelques rudiments du métier. Cette brève initiation ne me permit, le jour du concours à Montpellier, de ne citer que deux essences forestières : le marronnier et le frêne. Heureusement que le concours ne se limitait pas qu’à cela ! Me voilà donc reçu aux Eaux et Forêts ! Quelle fierté…

C’est donc en 1956 que je découvre ma première affectation. Je suis nommé garde forestier dans le département de l’Aude à Escouloubre. Mon triage s’étendait sur plusieurs communes et jouxtaient le canton de Quérigut en Ariège.

J’étais à nouveau dans la montagne, dans un pays où la vie se gagnait difficilement. Auparavant, un accident de moto m’avait handicapé et je « traînais la patte » lors de mes déplacements à pied. L’ingénieur du secteur me dit que ce n’était pas un poste pour un infirme à cause des déplacements sur des terrains accidentés. Pour garder mon poste, j’ai déclaré que je m’étais simplement blessé lors de mon déménagement. Je me déplaçais en moto sur le triage et j’avais trouvé à me loger dans un hôtel à proximité.

Au cours de cette période certaines scènes m’ont marqué. Je me souviens notamment de certaines pratiques de vols de bois : Des bœufs ferrés à l’envers pour sortir le bois de la forêt sans être repéré. Des vols de bois la nuit par un couple qui débitait les arbres à la scierie avant le jour pour qu’on ne soupçonne rien. Je gérais de belles forêts naturelles de feuillus et de résineux avec des arbres majestueux comme ce sapin proche de la forêt des Fanges qui mesurait plus de 30 mètres de haut et cubait près de 26 m3 Aucune scierie locale ne put le débiter. Il l’a été par une scierie de la région bordelaise.

J’étais en poste depuis plus de 4 ans et j’avais le mal du pays. Je savais qu’un collègue originaire de l’Aude était en poste dans le Tarn, au col de la Bassine près de Lacaune. Après quelques péripéties, nous avons pu échanger nos postes.

Me voilà de retour dans les Monts de Lacaune en 1961. La maison forestière du col de la Bassine comportait 3 logements (24 pièces) et un garage avec une fosse permettant de réparer les voitures. J’ai découvert un nouveau poste avec de nouvelles missions. Les reboisements étaient en pleine expansion et j’étais chargé d’encadrer une équipe de harkis, installés à Anglès, qui travaillaient en forêt et participaient à cet essor de reboisement du Fonds forestier national (FFN).

Ce fut une époque faste qui a permis de reboiser une partie de ces montagnes délaissées par l’exode et l’abandon des terres agricoles pauvres.

C’est aussi l’époque où les pistes ont été créées dans les forêts domaniales : Il y avait beaucoup de crédits pour les travaux en forêt.

            En 1963, je rencontre une jeune fille originaire du Margnès. Je l’épouse et de cette union naîtront 3 belles filles, toutes nées à la maison forestière de la Bassine.

Une anecdote me revient à l’esprit… En 1967, j’ai failli mourir dans cette maison forestière : je profitais de la fosse du garage pour graisser ma 2 CV. Elle a glissé et je me retrouve bloqué : j’avais du mal à respirer et ne pouvais pas appeler à l’aide. Ma femme donnait le biberon à notre fille Isabelle dans la maison. Heureusement le chien comprit l’urgence de la situation et alerta ma femme en aboyant. Elle parvint à me sortir de là en soulevant seule la voiture !

Je profite d’être à proximité du « Fau », chez mes parents, pour commencer à retaper cette maison. Nous étions heureux et je voyais ma carrière se dérouler près de mes parents et de ma belle-famille. Mais à la suite d’un pari lancé par mon chef, je me suis inscrit au concours de chef de district. N’ayant pas de formation forestière, je pars faire une préparation de 15 jours à Saint-Girons avec un ingénieur forestier. Il m’apporte beaucoup de connaissances et je réussis le concours, certes mal classé, mais encore une fois fier de mon travail. Suite à cette promotion, je suis nommé dans la Meuse.

            Nous voilà partis en Citroën Ami 6 à Montier-sur-Saulx. Je gère de belles hêtraies dans la région de Bar-le-Duc et des forêts de chênes de très haute qualité dans la région proche des Vosges. Je découvre les problèmes de manque de personnel : j’assure l’intérim de 2 postes et j’encadre 6 agents. Les champs de bataille de la guerre 1914-1918 se trouvant plus au nord. Je n’ai pas travaillé dans les zones de bois mitraillées dans lesquelles le sol était aussi dangereux à cause des restes de munitions. J’ai gardé de bons souvenirs de cette période malgré de mauvaises relations avec mon chef de service. J’ai dû faire un rapport à ma hiérarchie qui me donna raison pour une affaire de contrôle de la chasse en forêt domaniale. Mon chef a été muté. Ce n’est qu’en 1972 que l’administration m’a doté d’un premier véhicule pour travailler. Je me sentais bien sur ce poste mais j’avais toujours la nostalgie du sud et de mon pays. Je réussis à décrocher un poste au R.T.M (Restauration des Terrains en Montagne), service qui avait été créé en 1968.

            Je suis donc nommé à Tarascon-sur-Ariège et j’apprends un tout autre métier qui fait appel au génie civil. Je fais des formations dans les Alpes et j’apprends à skier à plus de 40 ans ! Le service de Restauration des Terrains en Montagne a été créé en Ariège, au sein de l’Office National des Forêts, suite à plusieurs inondations catastrophiques survenues en 1968 et 1969. Ma mission principale était la protection de la Nationale 20 contre les avalanches et les coulées de boues, route qui conduit en Andorre, très fréquentée pour ses commerces. J’ai installé les premiers râteliers paravalanches à 2400 mètres d’altitude pour retenir la neige. Ces travaux très importants et très chers étaient souvent réalisés grâce à l’hélicoptère qui approvisionnait les chantiers. Ils devaient être faits entre 5 heures et 9 heures du matin, à cause du brouillard.

J’ai également travaillé à la reconstruction des coins freineurs des coulées de neige au-dessus de la gare de l’Hospitalet. Ce sont des constructions de roches de 800 tonnes chacunes créées en gabions avec une technique qui assure leur souplesse et leur solidité. Ces coins freineurs sont toujours en place depuis 34 ans et sont toujours très efficaces.

J’ai également travaillé à l’étude de la route du Port de Rat reliant la vallée du Vicdessos à la vallée d’Inclès-Andorre avec Monsieur NAYROU, sénateur, à la consolidation des protections des falaises de la station thermale d’Ussat, à la consolidation des blocs de roches sur la route de la mine de Salau fermée depuis, à la consolidation des travaux sur les torrents, à la réalisation d’une clôture séparant l’Ariège et les Pyrénées-Orientales pour protéger les plantations de pins destinés à éviter la reptation de la neige. Cette clôture longue de 4 km déposée à l’automne et remise en place en mai nécessitait l’intervention de 2 personnes seulement sur une journée. Cette réalisation aurait mérité le dépôt d’un brevet.

J’étais également chargé tous les hivers des observations nivologiques : hauteur, qualité de la neige, évolution du manteau neigeux sur la Haute-Ariège, l’Andorre et sur la partie des Pyrénées-Orientales du col de Puymorens jusqu’à la Tour de Carol. J’ai passé 10 ans sur ce poste qui a beaucoup compté dans ma carrière.

Pour des raisons familiales et pour faciliter l’accès à mes filles aux études, j’ai demandé à revenir dans le Tarn. J’ai obtenu un poste de technicien au service forestier de la Direction départementale de l’agriculture à Albi.

Mes parents sont encore présents lors de mon retour dans le Tarn et je profite de mon passage au « Fau » pour introduire de nombreuses essences forestières et créer un mini-arboretum à ma nouvelle résidence de Lescure-d’Albigeois. Parmi ces essences on dénombre :

            Des feuillus : Chêne liège très rare dans notre région – Chêne rouvre – Chêne pédonculé – Chêne rouge – Chêne vert – Noyer noir – Noyer commun – Tulipier de Virginie – Ginkgo Biloba – Arbre de Judée – 5 érables – Arbousier – Amandier – Olivier – Alisier – Néflier – Marronnier – Micocoullier

            Des résineux : Séquoia semperviren – Sapin de Normand – Sapin Pinsapo (d’Espagne) – Sapin de Douglas – Pin parasol (Pignon) – Pin Sylvestre – Cèdre bleu de l’Atlas – Cèdre du Liban – Cyprès

            Plusieurs variétés de fruitiers tous greffés par moi-même

Tous ces arbres bien venant âgés de plus de 20 ans.

A mon arrivée à la D.D.A., nous n’étions que 2 techniciens pour encadrer les agents qui étaient des contractuels des Eaux et Forêts. Les choses évoluaient très vite. Il faut regretter que de nombreuses et belles réalisations aient été abandonnées. Les causes sont multiples : l’effondrement des cours du bois, la mortalité des arbres due à la sécheresse, aux attaques d’insectes, aux champignons… Le service évolue aussi avec l’arrivée de la nouvelle génération de techniciens.

Après ce parcours, j’ai pris une retraite bien méritée. La garde des petits-enfants nous a beaucoup occupés et j’ai continué aussi à passer beaucoup de temps dans la nature : j’ai élevé des abeilles qui m’ont offert un miel de qualité, souvent primé !                                               Yves Gayraud

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