L’écrivaine COLETTE,dans une nouvelle de « VRILLES DE LA VIGNE », commence ainsi : « J’appartiens à un pays que j’ai quitté » Eh bien moi, j’appartiens à une rue que j’ai quittée: la rue basse, à la Salvetat-sur-Agout.
Je vois à votre mine interrogative que vous ne situez pas « la rue basse », c’est vrai, elle a changé de nom! C’est maintenant la rue MONTARNAUD prolongée par la rue « DU PORTAIL VIEUX ».Autrefois,on ne baptisait pas les rues, dans mon village il y avait la rue haute et la rue basse et chacun s’y retrouvait!
La rue basse, où j’ai toujours ma maison, était alors pleine de vie, de voix, de rumeurs bref, pleine d’êtres humains! Ma maman, qui y était née, y avait compté 75 habitants, à l’année, bien sûr, et la petite fille que j’étais allait, venait librement chez tous ces habitants dont les portes étaient toujours ouvertes…
Tous bienveillants à l’égard de « Pastissou », c’était mon surnom puisque mon grand-père était pâtissier! J’avais mes maisons de prédilection, j’adorais m’asseoir aux pieds d’Henriette de Pounel, douce et silencieuse couturière; de chez elle je pouvais voir arriver Louise de Label qui revenait à pieds de Belot, un gros fagot sur les épaules…Dans certaines maisons on n’entrait pas mais les occupants étaient toujours dehors! Marinou d’Isard aussi large que haute dont la voix tonitruante s’entendait dans toute la rue (on disait, sans la voir: tè, Marinou!)son mari, Noël, facteur cultivé aux lunettes bleues, le grand-père, inoubliable sacristain, et Roger à la voix aussi sonore que celle de sa mère!
Cette famille était très importante alors avant que notre monde moderne ne décide que la présence animale était malsaine pour les humains, cette famille avait des vaches!!dont l’étable était dans la rue et qui donc passaient devant chez nous deux fois par jour! Les 3 vaches d’Isard, quelles merveilles!!!Leur passage nous faisait sortir devant la porte et j’assistais, médusée, au spectacle de Marie du Pastrou qui ramassait la bouse pour ses plantes!
Les bruits de ma rue résonnent encore dans mes oreilles: le pas lent et rythmé des vaches, la voix de Marinou, les sabots et la brouette de Justin de Prades, le bruit de ferraille de l’estamaïre; et ma mémoire olfactive est intacte: l’odeur délicieuse des gâteaux de mon grand-père mêlée à celle des vaches, celles des cuisines ouvertes sur la rue et celle qui, aujourd’hui encore, me fait arrêter net dans ma rue: celle des feux de bois. Elle vient des siècles passés, des humains qui y ont vécu grâce à ces feux, elle a imprégné les murs, les ardoises, les pavés de ma rue. Alors je ferme les yeux et je les revois tous, toutes, ceux et celles qui ont été l’âme de ma rue…
Aujourd’hui, à l’année, il y a environ 6 habitants…Vous me traiterez à coup sûr de nostalgique, de passéiste voire de ringarde car aujourd’hui il faut aller vite, vite et droit devant, mais quand je passe dans ma rue aux volets clos et plongée dans le silence je sais que, pour moi, dans mon coeur, c’était mieux avant….Il est vrai qu’aux beaux jours, ma rue se réveille, les volets s’ouvrent, des voix retentissent…Mes chers lions (oui! il y a 2 lions dans ma rue!!!) assistent ,imperturbables, aux concerts de la place Montarnaud, aux va-et-vient des lecteurs du « livre voyageur », aux parties de pétanque sur la même place…On leur a même dit que bientôt, oui bientôt, on allait penser à eux, on allait prendre soin de leur rue, de leur quartier haut…Ils gardent leur calme, il y a si longtemps qu’on le leur promet. Moi, je veux y croire et mes chers fantômes avec moi.
Annie Girard