Élisabeth et François Roussel

François ROUSSEL, parlez-nous de vos origines et de ce qui vous a amené à être dentiste à Lacaune ? 

Je suis né en 1943   à Mananjary (Madagascar), dans  un petit village de la côte Est de la Grande Île,  dans le royaume des «Antambaokas». Ma mère m’a donné vie dans une case indigène sur pilotis,  sur les  bords de l’Océan Indien.

A cette époque-là,  mon père occupait un poste d’ingénieur des travaux publics des colonies. Mes Parents sont tous les deux originaires de l’île de La Réunion. Mes ancêtres maternels sont arrivés dans l’île Bourbon comme colons de la Compagnie de Indes Orientales en 1684. Du coté paternel,  mon ancêtre a mis pied sur l’île en 1799

Je peux donc dire que j’ai des racines ultramarines.

En 1943, la guerre faisait rage en Europe mais le climat politique était calme à Madagascar.

En 1947,  l’île connut une rébellion sanglante, cela a été les prémices de l’indépendance de Madagascar en1958.

En 1951, je découvre  l’Europe et l’internat avec mon frère aîné .Nous voilà  à l’école privée de la Trinité à Béziers. Je rentre en CE1.

Ma tante, (sœur de ma mère),  Madame Maurel, mère du docteur Loïc Maurel  mon cousin et confrère, était notre correspondante à Causses et Veyran où nous y passions nos vacances scolaires. Je découvrais la vie viticole et le fonctionnement d’une cave avec ses foudres, son pressoir. Il y avait également une écurie. Le cheval tirait  une charrue, mais aussi la charrette chargée de comportes. Il me résonne encore le bruit métallique des roues et le pas pesant des sabots ferrés le matin à cinq heures, sur le macadam, quand les vignerons  du village commençaient  leur «journée de longue». Cela me changeait des rizières étagées des hauts plateaux malgaches et du labour des zébus.

La vie en pension n’était pas très drôle. Mon frère et moi dormions dans des dortoirs non chauffés sous d’épais édredons. J’ai un souvenir précis de l’hiver 1956 et de l’appel de l’Abbé Pierre. Hiver resté dans les annales de la météorologie nationale.

La transition  entre le climat  d’où je venais et la température que je subissais était déstabilisante pour un jeune enfant des tropiques. Nous avions une éducation religieuse stricte et un enseignement scolaire prodigué par des institutrices. Nous prenions les repas dans un réfectoire sur de longues tables en bois crasseuses et avions droit à une lecture  quotidienne de l’évangile. La messe était dite tous les matins et nous allions la servir à tour de rôle.

Le jeudi, jour de catéchisme, était suivi  l’après midi, d’une promenade en rang  par deux dans différents endroits de la ville ou de ses faubourgs, accompagné par  Monsieur Georges , un russe blanc, qui avait fui le régime soviétique..

Mon père et ma mère étaient repartis pour un séjour de 3 ans dans l’Océan Indien et mon frère et moi allions les rejoindre pendant les vacances d’été. Nous prenions le train de nuit à Béziers pour  Paris accompagné de notre tante. A Orly, un avion à hélices, un  « super constellation », nous transportait,  après deux escales, jusqu’à la Grande Île. Nous traversions l’équateur et changions de saison. C’était une sacrée aventure pour des gamins de notre âge.

En1954 ma mère s’installe à Béziers avec ma petite sœur .Je quitte  le Collège  de la Trinité et je rentre en cinquième  au Lycée Henri IV, classe que je redouble (et d’un !), fini l’internat ! En 1958, mon père prend sa retraite.

Après avoir obtenu mon BEPC à Béziers je déménage à Marseille au lycée Thiers en seconde, classe que je redouble (et de 2 !). Je poursuis dans ce même lycée mes études et je rate mon Bac et redouble une troisième fois.

Si je vous raconte ce parcours scolaire chaotique ce n’est pas pour vous surprendre ou par impudeur mais vous dire que c’est en entrant à la FAC que j’ai pris conscience de mon infirmité sur laquelle je n’avais pas mis de mots et dont j’ai été éclairé 74 ans plus tard, par ma fille qui m’a révélé ma dyslexie et surtout ma dysgraphie. (Cette dernière s’occupant des  troubles de l’apprentissage et du langage).

Mais  ce genre d’infirmité  ne se guérit pas, elle se soigne .Je vous explique en quelques mots le (biais =stratégie) qui m’a permis de me récupérer. En 1965 En possession de mon bac Math-elem je m’inscris en Médecine et je mets au point une méthode intuitive  consistant à prendre mes cours en une sténo personnelle  que je recopie dans la foulée. Bien entendu cela me prenait beaucoup de temps car si je tardais à retranscrire ce cours il devenait illisible ; mais c’est une bonne technique pour doper sa mémoire.

Grâce à cela mon cursus universitaire s’est déroulé normalement. Il existe actuellement d’autres stratégies pour corriger ce problème, le clavier d’ordinateur par exemple ;  une prothèse en quelque sorte comme le serait une paire de lunettes pour un myope.

J’ai été diplômé en 1969. Je me suis marié la même année avec Élisabeth,  qui avait fait ses études dentaires avec moi à Marseille. Elle m’a suivi  avec grand plaisir à Lacaune et s’est installée en 1969.

Pour ma part j’ai fait mon service militaire pendant 16 mois. J’ai exercé pendant 10 mois comme aspirant dentiste à la caserne d’Albi et je me suis installé en 1971.

Pour mener votre activité professionnelle quels ont été les atouts et les points faibles de Lacaune ?

La raison principale de mon installation à Lacaune est d’ordre familial. En effet  Le docteur Loïc Maurel, mon cousin, qui exerçait depuis plus de 15 ans, cherchait un associé.

Mon intégration s’est faite en douceur. Mon épouse et  moi avions la chance de commencer notre vie professionnelle avec un tuteur, notre cousin.

Nous avions prévu de travailler confortablement ; en cela nous avions deux assistantes, une secrétaire et surtout un laboratoire de prothèse avec un prothésiste à demeure et un jeune en formation. Ce travail de groupe était très stimulant et m’a permis de me libérer de mon cabinet pour suivre à la faculté de Chirurgie Dentaire de Toulouse plusieurs certificats professionnels, mais aussi de suivre des cycles de formation post universitaire à Castres ou à Albi. L’éloignement n’est pas un problème en soi.

La question à laquelle je devais répondre à mes confrères  lors de  ces réunions « Quel temps fait-il à Lacaune ? Y a –t-il de la neige ? » Et je leur répondais que Lacaune était bien dans le Tarn et que sur la carte il n’y avait pas inscrit : « Terra Incognita» !

Il est difficile d’effacer cette réputation de climat  rude. Pour moi, enfant des tropiques, l’exotisme était ici.

Tous mes anciens patients savent que je suis un bavard, mais ils savent et connaissent mon empathie pour eux. Pour mieux m’intégrer je me suis intéressé à leur mode de vie, j’ai essayé d’apprendre l’occitan et je dis bien « essayé » sans succès. J’ai beaucoup appris sur les traditions locales.

Nous avons eu deux filles, qui ont toutes deux suivi leur scolarité dans le primaire et au collège  de Lacaune et ont réussi un beau parcours universitaire.

 Mais la contrepartie  de la réussite scolaire des  enfants de la montagne  éloigne leur futur de notre territoire. La migration de nos jeunes s’est faite surtout  vers les métropoles régionales.

En cinquante ans, la vie de notre montagne s’est profondément modifiée avec la transformation de la filière charcutière artisanale en filière  industrielle. La création d’un abattoir polyvalent dans les premières années,  devenu un abattoir   strictement porcin. La création d’une usine d’embouteillage d’eau minérale. Ces transformations ont amené un accroissement de la population ouvrière, souvent étrangère et surtout Portugaise dont l’intégration s’est faite d’une façon remarquable. Malgré l’arrivé de cette population bienvenue dans le village, celle-ci  n’a pas compensé la perte de  1000 habitants en cinquante ans.

L’agriculture, la sylviculture et le tourisme ont semble-t-il un bel avenir à condition d’un recentrage national de ces activités vers notre région occitane.

La période que nous vivons est une période de mutation qui inversera, souhaitons le, cet exode rural et amènera grâce aux technologies de communications modernes  la fixation de petites entreprises et de start-ups  dans des activités de niche. (On peut rêver ! )

Pour vous, quel est le point le plus attachant de notre montagne ?

Tout d’abord une population fortement enracinée sur ce territoire, que j’ai eu l’occasion de  soigner pendant toutes ces années et avec qui j’ai eu  des rapports amicaux. Grâce à elle, j’ai beaucoup appris. J’admire leur courage ; les gens sont durs au labeur, n’hésitant pas à braver le mauvais temps, pour aller au travail. Je veux citer pour exemple ces revendeurs qui, quelque soit la météo, n’hésitent pas à emprunter au petit matin les routes enneigées pour aller au marché dans le Pays bas  et qui quelquefois se font piéger et attendent patiemment le chasse-neige pour repartir.

Je peux dire également que le bénévolat,la disponibilité et la gentillesse des gens de la montagne m’ont vraiment touché.

J’ai aussi une pensée affectueuse  pour ces jeunes handicapés de l’IME de Constancie  que j’ai eu en soin pendant plus de trente ans ainsi qu’à leurs éducateurs pour leur dévouement et les soins qu’ils dispensent à ces jeunes  que la vie n’a pas épargné.

En 2008 mon épouse et moi même avons décidé de prendre notre retraite bien méritée après 38 années de vie professionnelle et de  rester  à Lacaune  définitivement.

Je n’ai eu aucune difficulté à occuper mon temps  libre car j’ai des goûts très éclectiques  que j’essaie de mettre en pratique.

Je sculpte le bois et fais des bijoux  berbères. J’ai découvert ces activités manuelles pendant mes études de Chirurgie Dentaire.

Depuis 40 ans je pratique régulièrement à Belmont sur Rance  du Planeur, de l’Avion et de l’ULM  et  je continue encore à planer en toute sécurité au sein du club. C’est une véritable passion ! Le vol à voile est une activité parfaitement écologique, silencieuse, non dangereuse, permettant de tutoyer les nuages et de découvrir des paysages sublimes vus du ciel. Je prendrai pour seul exemple : le camaïeu de couleur du Rougier de Camarès qui évolue en fonction des heures du jour mais aussi des saisons. Ces paysages me rappellent ceux de mon enfance sur les hauts plateaux  latéritiques malgaches : l’île Rouge. Il est très agréable de se prendre pour un oiseau.

J’aime aussi les sorties en forêt à la recherche de champignons mais aussi de baies sauvages (mures, myrtilles) et tous les petits profits que la nature nous offre.

Comme je vous l’ai dit précédemment, pendant  mon activité professionnelle je me suis intéressé à la vie des gens  et à leur histoire. J’ai appris l’existence du centre de recherche sur le patrimoine au CRPR de Rieumontagnè et je me suis rapproché d’eux. J’ai été impressionné par le nombre de publications et la récolte d’informations dans des domaines aussi variés que l’histoire, la religion, les techniques agricoles anciennes, les petits métiers, les stigmates des guerres , l’histoire des propriétés etc.

A la demande de Robert Pistre et de François Joucla , j’anime depuis plusieurs années un atelier de jeux et jouets anciens pour la fête du BIAÏS à Payrac. Je présente  de vrais osselets de mouton, des cerceaux, un téléphone avec deux boites de conserve et un fil tendu, un sifflet réalisé avec un noyau d’abricot, un jeu de bille. Mais je m’efforce de construire, comme lorsque j’étais petit, avec peu de chose, des allumettes  une noix et du fil de couture, un petit hélicoptère  que j’offre aux enfants curieux qui me regardent.

Je constate que ce sont surtout les grands parents et parents qui apprécient ces jouets d’autrefois et n’hésitent pas à faire une démonstration d’osselet mais aussi de lancer des toupies en bois et montrent ainsi leur nostalgie et leur fierté de refaire devant leurs petits enfants les gestes qu’ils n’ont pas oubliés. Cette journée qui a lieu au mois d’août connaît un grand succès.

Cette activité est un bon témoignage de l’inventivité des enfants qui, autrefois, dans les campagnes ne disposaient pas de jouets industriels et fabriquaient de leurs propres mains des jouets improbables.

Il y a une universalité dans le fait que les enfants fabriquent leurs propres jouets…. Je pense aux petits malgaches qui eux aussi concevaient des pirogues à balancier avec quelques morceaux  de bois imitant, en miniature, celles de leurs parents pécheursQuel est pour vous l’intérêt de la Gazette ? La Gazette aiguise ma curiosité et m’apprend  beaucoup sur le devenir de tous ces jeunes que j’ai soignés, qui ont migré, que j’ai perdu de vue, qui ont connu un parcours professionnel remarquable et il est agréable de savoir qu’ils ont réussi. Tous vos intervenants  témoignent de leur vie et surtout des liens qui les rattachent à ce pays  même si l’exil, quelques fois douloureux, les a séparés du nid familial. Ils relatent avec une grande émotion  leurs souvenirs.Internet et surtout la palette technique informatique traduit  les évènements de la vie  beaucoup mieux qu’un livre, Ces techniques  permettent ainsi des incrustations d’images ou de films familiaux montrant des scènes  de la vie quotidienne et leur témoignage  devient plus convainquant.Pour résumer : je dirai que la Gazette est un instrument, un véritable Couteau Suisse qui touche  tous les domaines de l’histoire locale et nous rappelle toutes les stratégies=biais que nos anciens ont trouvés. Grâce à eux, nous partageons leur expérience

À la fête du biaïs de Payrac, explication sur les jouets d’enfants d’autrefois.

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