Nous reproduisons, ci-après, le texte intégral de l’époque qui peut donner la meilleure indication sur la façon dont on a fabriqué à Calmels les premiers fromages portés à Roquefort pour y être affinés. (d’après l’Encyclopédie d’Agriculture pratique Tome troisième Arts Agricoles Paris Au Bureau, 15 quai aux Fleurs MDCCCXXXVI)
Fromage de Roque fort (Aveyron)
Ce fromage, qui se fait dans le village qui porte le nom, doit une excellente qualité à la disposition naturelle des caves dans lesquelles on le dépose pour son affinage, et en partie, d’après les observations de M. Girou de Buzareingues, à la méthode usitée dans le pays pour traire les brebis. On exprime le lait avec force, et lorsque on ne peut plus en obtenir la pression, on frappe sans ménagement les mamelles du revers de la main, répétant cette opération à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’on n’obtienne plus rien. Ceux qui sont témoins pour la première fois de cette vigoureuse mulsion, en sont alarmés pour la santé des brebis, qui n’en reçoit cependant aucun dommage.
Le Roquefort se fait avec un mélange de lait de brebis et de chèvre ; le premier lui donne plus de consistance et une meilleure qualité, le second lui communique de la blancheur.
On trait les animaux matin et soir, on mêle les deux traites, on coule le lait à travers une étamine ; ce lait est reçu dans un chaudron de cuivre étamé, où on le fait chauffer pour l’empêcher de s’aigrir ou pour enlever un peu de crème, afin que le fromage ne soit pas trop gras ; on ajoute ensuite la présure, on remue avec une écumoire et, on laisse reposer. Lorsque le caillé est formé, une femme le brasse fortement, le pétrit et l’exprime avec force ; il en résulte une pâte qu’on laisse reposer, qui se précipite et occupe le fond du chaudron. On incline le vase pour décanter le petit-lait qui surnage, on met ensuite le fromage dans des formes ou éclisses dont le fond est percé de petits trous, en ayant l’attention de pétrir et comprimer le caillé à mesure qu’on en remplit le moule ; on le laisse égoutter en le chargeant d’un poids pour mieux extraire le petit-lait. Le fromage ne reste pas au-delà de 12 heures dans la forme, pendant lesquelles il est retourné plusieurs fois. Dès qu’il parait débarrassé de tout petit-lait, on le porte au séchoir. Là les fromages sont posés sur des planches les uns à côté des autres, sans se toucher, et retournés de temps à autre pour qu’ils se dessèchent mieux, plus promptement et sans s’échauffer. Comme ils sont sujets à se fendre, il faut les envelopper dans une sangle de grosse toile, qu’on change chaque fois qu’on le juge convenable. La dessiccation ne dure pas plus de 15 à 20 jours, surtout si on a soin, quand on les change de les replacer sur une planche propre et bien sèche.
Chaptal observe avec raison que les procédés de fabrication du Roquefort pourraient être améliorés ; ceux que l’on suit pour la préparation des fromages anglais nous paraissent en grande partie applicables à la fabrication de cette espèce de fromage. Une présure d’une force plus constante, une meilleure méthode pour diviser ou rompre le caillé, une forme de moules plus appropriée, et dans le genre de ceux du Gloucester ou de Hollande, une pression plus convenable au moyen de presses qui en exprimeraient tout le petit-lait, l’emploi des toiles à fromages, telles sont les améliorations qu’on pourrait introduire dans cette fabrication importante. Il faudrait aussi adopter une méthode plus uniforme afin d’avoir moins de diversité dans la qualité de ces fromages, qui offriraient d’ailleurs, moins de déchets dans le travail des caves.
Ces fromages se fabriquent dans un rayon de 7 à 8 lieues autour de Roquefort, et la plus grande fabrication a lieu depuis le mois de mai jusqu’à la fin septembre. Les propriétaires des caves les achètent en toutes saisons, et arrivés aux entrepôts de Roquefort, les fromages sont triés suivant leurs qualités, qui sont appréciées par des experts qui n’ont d’autre guide qu’une grande habitude.
Le poids est ordinairement de 3 à 4 kg (6 à 8 livres). On les paie aux fermiers en gros, au prix de 40 à 42 fr le quintal. Le lait de brebis donne 20% de fromage en poids, à l’état brut. Le déchet dans les caves est à peu près d’un quart.
Les caves de Roquefort son adossées contre un rocher calcaire qui entoure le village ; quelques-unes sont même placées dans les crevasses ou grottes qui y sont naturellement ou artificiellement pratiquées ; un simple mur du côté de la rue est tout ce que l’art a dû faire pour clore les caves. Leur grandeur n’est pas énorme ; il en est même de très petites. On aperçoit dans toutes les fentes dans le rocher, par où s’introduit un courant d’air frais qui détermine le froid glacial qu’on y éprouve, et qui fait tout leur mérite ; car il n’y a de bonnes caves que celles dans lesquelles ces courants sont établis. Ces courants se dirigent du sud au nord. Il y a un petit nombre de caves qui reçoivent des courants de l’est ; mais les meilleurs sont ceux du sud. Plus l’air extérieur est chaud, plus ces courants sont froids et forts, et ils sont toujours assez sensibles pour éteindre une bougie qu’on présente à l’ouverture. L’air introduit par ces crevasses du rocher s’échappe par la porte des caves, et y forme un courant continuel. Le froid qu’il produit est tel, que Chaptal a observé jusqu’au 21 août 1787 un thermomètre marquant à l’ombre et en plein air 23° R., était descendu à 4° au-dessus de zéro, après un quart d’heure d’exposition dans le voisinage d’un courant rapide. La température de ces caves varie selon leur exposition, la chaleur extérieure ou le vent qui souffle. Le vent du sud semble accroître leur fraîcheur. Ces caves, plus ou moins petites et étroites, sont à plusieurs étages ; elles sont divisées de bas en heut par des planches étagères qui sont destinées à recevoir les fromages.
Aussitôt que les fromages sont arrivés dans les caves, on procède à leur salaison. Cette opération consiste à jeter une petite pincée de sel sur les fromages, qui sont placés les uns sur les autres par piles de cinq ; on les laisse ainsi 36 heures, au bout desquelles on les frotte bien tout autour pour imprégner de sel toute la circonférence ; on les réentasse jusqu’au lendemain, où on les sale de nouveau ; le jour suivant on les frotte encore, et on les remet en pile pendant trois jours. Après ce temps, ils sont portés dans les entrepôts, où on les racle et on les pèle. La raclure se vend, sous le nom de rhubarbe, à raison de 15 à 20 francs les 50 kilos. On en obtient 7 à 8 % du poids du fromage. Les fromages ainsi raclés sont rapportés dans la cave, où ils restent empilés 15 jours, au bout desquels ils sont posés de champ sans se toucher. Quinze autres jours après, ils jettent un duvet blanc qu’on racle ; remis sur les tablettes, ils se duvettent de nouveau de bleu et de blanc, qu’on enlève en les raclant. Après 15 autres jours, ils se couvrent d’un duvet rouge et blanc. Le fromage est fait dès ce moment, mais on a soin de le racler de 15 jours en 15 jours jusqu’à la vente. On juge de la qualité du fromage par la sonde. Le fromage de première qualité offre une pâte douce, fine, blanche, agréable au goût, légèrement piquante et marbrée de bleu. Après quatre mois de cave et un déchet d’un cinquième en moins, le fromage se vend de 60 à 70 francs le quintal ; il a coûté environ 40 francs pris chez le fermier. Les bénéfices seraient très considérables s’ils n’étaient diminués par la rente du capital à l’acquisition des caves. On fabrique annuellement 900 000 kilog. de fromage, qui forment un commerce de 6 à 700 000 francs. Quoiqu’il soit difficile de trouver une localité aussi propice que celle de Roquefort pour la construction des caves à fromages, on parvient cependant à l’imiter parfaitement, en plaçant des fromages dans des caves très froides, dont on entretient la fraîcheur par des moyens artificiels. Nous avons mangé du fromage de Roquefort fabriqué aux environs de Paris, dont les qualités approchaient beaucoup de celles du véritable fromage de ce nom. On prétend même qu’il s’en fabrique aux environs de Roquefort qui sont très bons, et passent dans le commerce sous le même nom.