Gisèle Barthe nous raconte

La vie était dure à Bétirac et l’hiver tout devenait encore plus difficile. Ce soir de novembre 1835 Marie écossait des haricots. Elle jetait les pampres secs dans la cheminée, ils ravivaient les flammes éclairant la pièce unique où elle vivait. C’est là qu’elle avait mis au monde ses 5 enfants. Penser à l’ainé la rendait triste un cœur doux et une carrure de scieur de long l’avaient mené aux galères. Ses trois frères travaillaient dans des fermes voisines. Malgré tout ce soir Marie avait le sourire. Demain elle irait à Montegut où sa seule fille s’était mariée et elle devait aller aider à tuer le cochon. Ce serait bien le diable si elle ne ramenait pas quelques boudins et saucisses qui amélioreraient l’ordinaire des jours de fête à Bétirac.

Avant le lever du soleil, après avoir nourri son maigre cheptel elle quitta sa maison. La route était longue à travers bois, champs et prés qu’une fine couche de neige recouvrait. Quand elle arriva le cochon était déjà mort. Elle rejoignit les femmes occupées dans la cuisine à découper et à cuire les différents morceaux de l’animal.

Entre travail et plaisanteries  la journée passa très rapidement. Le soir tous ceux qui avaient participé au travail prirent place autour d’une table bien garnie. Tout ce qui ne pouvait pas être conservé allait être partagé et parmi tous ces restes le mets de choix les os allaient régaler tous les convives.

Le repas s’étira  entre rires et chansons. Mais il n’est bonne compagnie qui ne se quitte et après un dernier au revoir Marie quitta la douce chaleur de la pièce pour regagner Bétirac.  

Du ciel, lourd de nuages, s’échappait une multitude de petits flocons qui tourbillonnaient avant d’atteindre le sol. Rien ne pouvait arrêter Marie qui bien souvent avait connu des temps encore plus mauvais.

Dans son dos pesaient quelques boudins deux bocaux de pâté et un morceau de saucisse fraîche.

Elle marchait d’un bon pas en suivant les quelques repères qui lui permettraient de regagner sa maison sans encombre. La neige avait cessé de tomber et un vent glacial soufflait aussi elle accéléra l’allure.

Tout à coup derrière elle il lui sembla entendre le crissement des branches qu’on écarte pour passer. Etait-elle suivie ? Ce bruit ne serait-il que le fruit de son imagination ? Aurait-elle un peu trop bu de vin au repas ?

Elle grimpait une côte assez marquée quand elle dût se rendre à l’évidence un animal était à ses trousses. Elle le reconnut aussitôt. Un loup appâté  par l’odeur des victuailles la suivait de prés.

Terrorisé le souffle court Marie cherchait une solution pour échapper aux crocs. Ne voyant aucune autre alternative elle lâcha sur la pente un boudin qui dévala en entrainant le loup à sa poursuite. Pourtant  ce ne fut que temporaire et même si Marie pressait le pas elle entendit assez rapidement le retour du poursuivant. Un autre boudin puis un troisième prirent la même direction au grand désespoir de Marie qui voyait disparaître le gain d’une journée de dur labeur. 

Elle lâcha ainsi tous ses boudins et dût se résigner à abandonner le morceau de saucisse fraîche. Sa maison n’était plus très loin. Un dernier effort et elle serait enfin en sécurité.

Quand elle ouvrit sa porte il lui sembla que la pièce obscure où le feu était éteint avait les agréments d’un refuge.

Le petit chien de la maison sentant l’intrus hérissa le poil en grognant. Marie le calma. Demain serait un autre jour surement un jour de peine sur les flancs noirs de Bétirac.

Cette histoire me fût contée par ma mère qui savait faire revivre le passé et ses richesses.

Est-ce un conte ? Ou cela relate-t-il un évènement  réel ? Quelle part de vérité peut-il y avoir dans ces aventures de Marie Senaux ? Ce que je sais c’est qu’elles se sont transmises oralement de Rose Senaux (petite –fille de Marie) à ma mère (petite-fille de Rose). Y avait-il des loups  à Bétirac au XIXème siècle ? Ou faut-il voir dans ce récit une résurgence des rumeurs et des craintes qui faisaient du loup au Moyen Age un prédateur sanguinaire ?

A chacun de se faire son opinion.

Ric rac moun counta es acabat….

Note du blog : ce récit n’est pas une invention. En effet, le décès d’un enfant de 9 ans «que les loups avaient dévoré », le 31 juillet 1760 , à la Vergne, entre La Planézié et Le Fajau a été relevé dans le registre officiel des décès de Cambon. Cela se passait à très peu de distance de Bétirac.

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