Dans ma vie j’ai vu deux asinades. L’une c’était un jour de carnaval, le dernier marié Henri Vidal, dit « le marchand » a réclamé l’honneur d’être promené sur un âne. Il s’amusa follement à caracoler dans tout le village, affublé d’une vieille robe à plis de quelque grand-mère et, monté sur un âne rétif qui n’obéissait ni aux rênes, ni au pression du genou, encore moins aux coups ; par contre il avait un chic de cheval de cirque pour mettre sa tête entre ses pattes de devant, et, d’une ruade accompagnée d’une série de pets sonores, il savait si bien désarçonner son cavalier qu’il était prudent de se tenir à distance. Excité par tout le village en délire, ivre de rires et de cris, Vidal s’obstinait, il voulait, au moins, réussir à faire un tour d’honneur ; il dut y renoncer.

È ! I a pas de mal

Que l’ase corga !

È ! I a pas de mal

Per Carnaval !

 

La deuxième asenada eut lieu un lendemain de la fête de Barre. Nous étions allés, musique en tête, jusqu’à Canac le Haut où il y avait des jeunes filles en âge de se marier, et leurs cousines, des Biterroises bien habillées et pas mal jolies. Après les sérénades habituelles pour chacune des jeunes danseuses, et la phrase qui se dit pour chacune d’elle : « Ceci est fait en l’honneur de Mademoiselle xxx, frappe que je t’aime ! »

Au retour vers Barre, qui eut l’idée de prendre l’âne de mon ami Firmin Nègre paissant dans un champ ? Et comment a-t-on déniché une vieille guenille de femme, une robe douteuse dont se vêtit Gili / Gély, le frère du garde champêtre, que je ne connais que par son surnom de « Caròl ». A peine hissé sur Aliboron docile et, qui sait, peut être fier, d’une fierté d’âne, d’Aliboron de la fable, nous nous sommes acheminés vers le bas du village, l’âne portant Caròlmais guidé par son licou par Antoine Record, dit Pelau, un boiteux, pince sans rire, farceur et amuseur. Nanti d’un panier et de quelques pommes de terre, d’une vieille romaine dénichée on ne sait d’où, tout le cortège, âne en tête déboucha dans Barre par le chemin de Gos. Caròl tâchait de maintenir son équilibre tout en faisant des grimaces ; mais Pelau, imitant un vendeur dominical de fruits du Rouergue, criait à tue-tête : « A las peras ! A las peras ! qual ne vòl ? »

Oh ! Bon dieu !… Quel rire, quelle folie, quelles courses de galopins pour essayer de voler des pommes de terre dans le panier de Pelau, comme nous faisions au pauvre Roergàs / Rouarguas   qu’il imitait. Comme celui-ci notre farceur courait après nous et revenait à son âne détourné par les uns et par les autres. En un clin d’œil tout le village fut là, les hommes et femmes venaient pour acheter, rire, se moquer et faire mettre en colère le terrible imitateur. Le vieux Séguier, dit Numa, le tailleur du haut village, entendant les rires et le bruit, s’avança devant la grande croix plantée à l’emplacement du four banal de l’ancien régime ; lorsqu’il vit la mascarade menée par le fils de sa voisine, il appela la vieille mère de Pelau « Folcranda ! Folcranda ! Venètz veire ! » Je vois toujours la bonne vieille coiffée d’une mode locale, disparues depuis des années, lorsqu’elle reconnut son farceur de fils menant la farandole, l’asinade de son jeune temps ; prise d’un fou rire, elle leva les bras au ciel, puis les laissant tomber sur ses hanches, se mit à dire : « Oi ! Aquel animal ! Oi ! Aquel animal ! » Mais la mère de Caròl, elle, ne vit pas la farandole avec le même esprit ; voyant son grand diable de fils travesti en vieille femme et juché sur l’âne, se munit d’une immense latte qu’elle prit sur un tas de fumier et, s’en servant comme d’une arme redoutable, elle en asséna quelques coups bien placés sur tout ce qui se trouva devant elle, sans en omettre son fils. Vous auriez vu avec quelle célérité elle sut disloquer et disperser toute l’asenada. Asenadapour rire mais asenada quand même.

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