Nos contemporains qui voient que nos éleveurs de brebis produisent du lait n’imaginent pas qu’il y a deux siècles, il n’y avait que des ovins viande. Pour une simple raison, il n’y avait pas de moyen de transport autre qu’à dos mulet. Dans ces conditions, les moutons se vendaient à des maquignons qui les conduisaient à pied derrière eux jusqu’au Pays Bas.
Au cours du premier quart du XIXe siècle, il y a eu amélioration de la race de nos brebis, en faisant des croisements avec des mérinos importés. L’objectif était d’améliorer la qualité de la laine utilisée dans l’activité textile locale. C’est le propriétaire de Lugan (près de Barre), M. Vergnes, qui a été un militant actif de cette action. Le docteur Rascol : « Pendant plus de vingt ans, Monsieur Vergnes de Lugan pourvut toute la montagne de béliers provenant de cette souche. Il est résulté là une profonde modification profondément avantageuse de l’espèce ovine locale ».
En 1840, la route vers Saint-Gervais est ouverte grâce à la construction du pont de La Mouline. Les choses peuvent encore plus évoluer.
En 1847, arrive à Lacaune, un nouveau propriétaire de Calmels, Paulin de Naurois, d’une grande famille venue de l’Est de la France et apparentée à Jeanne d’Arc. Il a en effet épousé Louise de Cluzel, nièce et héritière d’Adèle de Lestiès, de la grande famille des Calmels de Lestiès seigneurs de Lestiès, avant la Révolution.
Grâce à un descendant, Éric de Naurois, nous avons pu prendre connaissance du livres de comptes journaliers tenu pour Paulin de Naurois, qui avait pris Calmels en gestion directe, alors qu’il louait en fermage ses deux autres fermes : Lestiès et Bel Air.
Ce livre de comptes est précieux pour l’histoire locale, car il permet de prendre connaissance de tous les progrès lancés dès 1847. Paulin de Naurois, originaire d’une famille d’entrepreneurs, était imprégné de l’esprit saint-simonien de l’époque. Plusieurs ouvrages de cette période montrent aussi que c’est une période de bouleversement pour l’agriculture.
À Calmels, d’entrée, Paulin défonce des taillis, développe le chaulage en créant un four à chaux, alimenté par le calcaire trouvé sur place et le charbon devenu plus accessible avec le démarrage en 1836 de la mine de Castanet-le-Haut et l’ouverture de la route pour y accéder. Il développe les prairies artificielles, il acquiert du matériel moderne et il améliore le cheptel.
Le livre de comptes nous permet de situer de manière précise le démarrage de la race de brebis Lacaune.
En 1854, Calmels commence par produire quelques fromages qu’il vend à Roquefort pour y être affinés, grâce à l’ouverture des routes. Il apparaît que cette opération est fructueuse et on ne manque pas de se poser la question de savoir comment améliorer la production laitière du troupeau.
Paulin de Naurois, qui a aussi une résidence à Paris, se rend à l’Exposition Universelle de Paris de 1855. Les béliers de race Southdown y sont exposés pour la première fois et ont été un des clous de cette foire.
Aussi, dans la foulée, Paulin de Naurois se rend, les 3 et 5 mai 185, à Alfort, où il y a l’école vétérinaire. L’administration de l’agriculture, pour favoriser l’essor de l’élevage y vend les plus beaux spécimens aux enchères. Neuf béliers Southdown sont proposés et Paulin de Naurois acquiert celui qui est au prix le plus élevé de 510 f. ce qui montre son engagement pour la ferme de Calmels. Comme dans le livre de compte de Calmels, le coût reporté avec le transport est de 619 f, cela veut dire que le coût du transport a été de 109 f. pour comparer, sur place, les béliers locaux se vendaient de 30 à 40 f.
Cette Exposition Universelle était bien caractéristique de la politique bonapartiste, qui sera reprise un siècle plus tard par la politique gaulliste. Dans la foulée du saint-simonisme, il s’agissait de faire de la France une grande puissance économique, non à l’abri des frontières, mais avec une grande ouverture au monde pour être à l’affût de ce qui se fait de mieux ailleurs. L’exposition de 1855 a, en effet, vu la participation de 34 pays.
À quoi ressemblait ce bélier ? Voilà une représentation qui est donnée dans le Journal d’agriculture pratique de l’époque.
Dans la publication du CRPR, Histoire de la race de Lacaune, on découvre qu’au concours d’Albi de 1859, Paulin de Naurois a gagné le premier prix avec ce bélier qui était de la race acquise récemment.
Bélier Southdown acquis par Paulin de Naurois
L’année suivante, il complète avec cinq brebis Southdown. C’est le début des croisements qui conduisent à la race Lacaune qui sera améliorée également par son fils Ludovic.
Paulin de Naurois et son fils Ludovic né en 1851