En étudiant les dépositions de témoins dans un procès d’un meurtre intervenu le 3 mars 1815, j’ai relevé le détail que deux d’entre eux étaient partis pêcher des grenouilles. La curiosité m’amène à approfondir ce sujet que je ne connaissais pas bien, car dans mon enfance et ma jeunesse à Narulle, personne ne pratiquait cette activité.
Dans l’ouvrage CHASSE PÊCHE ET BRACONNAGE, (Edition CPR, page 185 et sq), Emile Farenc explique très bien le phénomène. Les grenouilles rousses quittent les bois pratiquement au même moment en allant dans une zone humide pour s’accoupler et pondre de nuit. Aimé Fourès rapporte que le lieu le plus connu dans notre secteur est débès de Cabanes. La saison de ponte est relativement courte, en février dans la Plaine, en mars chez nous. Parfois, il y en avait tellement dans les lieux qui s’y prêtaient, que certains s’aidaient de râteaux pour les rassembler et les mettre plus rapidement dans un sac à jute de céréales. Au XXe siècle avec les lampes à carbure au début, avec les torches électriques plus tard, on pouvait vite remplir son sac.
Ce braconnage est interdit : on ne peut pas pêcher de nuit, on ne peut pas pêcher à la main, on ne peut pas pêcher pendant la période de reproduction. Aujourd’hui, la répression est sévère, on risque jusqu’à un an de prison et 15.000 € d’amende.
De jour, pendant la même période, la pêche dans ces sagnes (cependant interdite) est possible, mais les grenouilles se cachent et on ne peut plus faire une pêche miraculeuse. En 1815, c’était ce mode qui était utilisé, car avec les moyens de l’époque,pour s’éclairer on ne pouvait pas faire une expédition nocturne en partant de Lacaune vers Escande.
La pêche en rivière de la grenouille verte est autorisée dans les ruisseaux pendant la période d’ouverture. On place alors un bout de tissus rouge à l’hameçon.
Pour plus de détails, je laisse la parole à Francis Vidal de Moulin-Mage qui a été garde à Largentière. Il a donc eu une connaissance fine du sujet. Dès le mois de mars dès que la température se réchauffe, les grenouilles rousses qui vivent dans les bois sortent et se rassemblent dans tous les points d’eau, les endroits marécageux où les tourbières pour se reproduire et y pondre leurs œufs.
Cette migration et la ponte s’effectuent de nuit, La capture de ces batraciens se fait soit à l’aide d’un râteau, mais le plupart du temps simplement à la main. Quelque fois la concentration était tellement forte qu’en un rien de temps le ramasseur remplissait un sac de jute. Les mâles sont sur les femelles et elles se ramassent souvent par deux.
La grenouille rousse devient de plus en plus rare à cause de l’assèchement de beaucoup de zones humides, par un fort prélèvement sur les dernières reproductrices et par des conditions météorologiques souvent trop variantes. Lorsqu’il y a un manque d’eau dans les marais suivi d’un coup de gel, il arrive que les œufs gèlent compromettant le résultat de la reproduction.
Cette pratique existe encore aujourd’hui sur le plateau ardéchois, et les bordures de Lozère et de la Haute-Loire. La tradition de ces régions veut que pour le repas de Pâques il y ait des grenouilles au menu.
Durant toute ma carrière, j’ai participé à des tournées de surveillance et de répression nocturnes de ces pêches illicites. La région du Gerbier de Jonc (Ardèche) – Les Estables (Haute-Loire) étaient et sont encore des hauts-lieux prisés, mais les grenouilles manquent à l’appel! En 30 ans j’ai assisté à cette régression.
Dès le mois de mars, c’est comme pour les palombes dans le Sud-Ouest à une autre saison, les férus scrutent la météo et les possibles réchauffements brusques pour se motiver pour les sorties nocturnes. Nos prévisions professionnelles étaient souvent modifiées car il fallait être aussi réactif que les « braconniers » si on voulait des résultats.
Francis Vidal attire l’attention sur un texte du Dr Rascol datant de 1880 qui est instructif sur les grenouilles rousses sur notre plateau et qui prouve la capture autrefois de ces grenouilles sur notre plateau! :
« Parmi les batraciens, deux sous ordres seulement sont représentés dans le canton………… Dans le premier groupe nous trouvons la grenouille verte,assez répandue aujourd’hui, presque inconnue il y a une vingtaine d’années, et la grenouille rousse. Cette dernière s’était tellement multipliée autrefois sur notre plateau que sa vente constituait une branche de commerce assez lucratif, vers le milieu du siècle. Au printemps on en expédiait de pleins sacs dans les villes voisines. Depuis lors, elle est devenue très rare. »